Questionnements autour d'un bilan d'étape de la procédure d'appel à projet

La CNSA, le ministère des affaires sociales et de la santé ont publié récemment un document présentant un rapport relatif aux appels à projet et portant sur les années 2011-2012.

Innovation de la loi du 21 juillet 2009, dite HPST, l’appel à projet a profondément modifié les procédures permettant de proposer des créations de nouveaux dispositifs ou des évolutions significatives de ceux existant.

Si la procédure en elle-même soulève des questions essentielles, le bilan tiré de sa mise en ouvre interroge également. Néanmoins quelques propositions d’évolution de la procédure méritent que l’on s’y arrête.

L’appel à projet : une procédure discutable

Au-delà des aspects formels de la procédure, la loi a opéré une transformation copernicienne en confiant de fait l’initiative non plus aux acteurs mais aux pouvoirs publics. Certes, les textes ont laissé une toute petite opportunité pour présenter des projets expérimentaux, mais cela est loin de contrebalancer la tendance générale. Nous avons là un bouleversement historique au sens où l’action sociale s’est très largement bâtie à partir de l’initiative des acteurs et non sur celle des pouvoirs publics, ces derniers étant amenés à légitimer les actions a posteriori notamment au travers d’un financement et d’une reconnaissance législative et réglementaire.

Rappeler cette histoire ne constitue pas ipso facto une critique des pouvoirs publics mais pose l’hypothèse que les acteurs, issus de la société civile, sont plus en prises sur des réalités quotidiennes et mieux à même de percevoir les dysfonctionnements sociaux et les problèmes qui en découlent pour une partie des concitoyens. Souvent, les acteurs ne se sont pas contentés de porter une préoccupation sur tel ou tel besoin non ou mal pris en compte, mais ils ont eux-mêmes cherché des solutions, en ont mis en oeuvre concrètement, tout en interpellant les pouvoirs publics. La structure administrative de l’Etat ne lui permet que très marginalement de pouvoir repérer ainsi des problématiques nouvelles et encore moins d’expérimenter sur le terrain. L’Etat a besoin que des acteurs, jouant le rôle de médiateurs, mettent les questions sociales dans l’espace public et contribuent à la mise en place des réponses.

Qu’il s’agisse des situations de l’enfance, des personnes handicapées ou en situation de pauvreté, l’histoire de l’action sociale fourmille d’exemple. La question du non recours, notamment pour le RSA dit « activité », qui est censé favoriser la reprise d’un emploi par les bénéficiaires est significative de cela. Les pouvoirs publics gèrent les flux et les demandes. Ils ne sont pas structurés, ni missionnés d’ailleurs, pour examiner les non-demandes.  C’est de la société civile qu’est venue la mise dans l‘espace public de cette question et c’est grâce à cela que les pouvoirs publics commencent à s’en préoccuper[1]. L’on aurait attendu longtemps l’appel à projet sur cette question.

La procédure d’appel à projet est d’autant plus problématique que le système d’observation des besoins en France est pour le moins lacunaire et d’une efficacité assez limitée, que cela soit au plan général ou au plan local. Pourtant, la loi 2002.2 fait de l’observation une obligation, au plan national, régional ou départemental. Certes des observatoires existent, sur tel ou tel champ particulier, mais aucun dispositif systématique n’a été mis en place et l’absence d’observation organisée n’est pas sanctionnée. Les centres communaux d’action sociale doivent aussi produire régulièrement un travail d’observation sociale, c’est une obligation législative. Mais même lorsque cela est fait, ce n’est que très peu utilisé en matière de politique publique et pas capitalisé au plan national.

L’autre problème posé par cette procédure réside dans la place du cahier des charges rédigé par les pouvoirs publics. En effet, ce document reformule les besoins, les grands objectifs et le cadre des modes de mise en œuvre. Autrement dit, les pouvoirs publics investissent en partie un champ, les conditions de mise en œuvre au delà de la fixation des principes d’action, qui était, et qui reste largement, le domaine des acteurs voire des professionnels.

Les éléments que l’on peu tirer du bilan 2011-2012 s’inscrivent dans ce cadre général.

Un bilan peu convaincant

Le document de la CNSA et du ministère présente un bilan qui se veut objectif mais qui de ce fait est un peu « plat » quant à la mise en perspective des éléments mis en lumière. Le fait qu’il n’y ait pas de conclusion est assez significatif de l’absence d’une dimension d’analyse.

Néanmoins, le document donne des informations intéressantes à plusieurs titres. La première chose est qu’il réaffirme, s’il le fallait encore, que cette procédure s’inscrit totalement dans une problématique de maîtrise de l’offre et de recherche d’efficience. Certes, il ne s’agit pas ici principalement  de quelque chose de nature à diminuer les dépenses mais à en maîtriser les évolutions. Pour autant, ce n’est pas l’objectif en soi qui pose problème mais la procédure choisie pour parvenir à ce résultat qui conduit à verrouiller la question des besoins et notamment des éventuels besoins nouveaux. C’est donc à cette aune que les bilans de cette procédure seront appréciés par les pouvoirs publics. Ce ne serait pas forcément le critère principal d’appréciation des professionnels ou des usagers, qui, soulignons le au passage, sont totalement absente de cette procédure[2].

Reste que le volume d’appel à projet et l’absence de recul sur les effets des choix réalisés ne permettent pas encore d’en tirer des éléments significatifs. Néanmoins, le rapport souligne à plusieurs reprises que le contexte financier contraint et, conjoncturellement, la nécessité d’épuiser les dossiers qui avait été instruits au niveau des Crosms, sont les principaux freins à cette mise en œuvre.

Le champ du handicap représente 60% des appels à projet avec une dominante pour les services destinés aux enfants handicapés. De même dans le champ des personnes âgées (35 % des appels), une majorité concerne les services et, dans une moindre mesure, les plateformes.

Dès lors, l’on peut constater que la procédure a concerné plutôt l’adaptation de l’offre que des besoins nouveaux. Ceci traduit bien la priorité des pouvoirs publics. Il est d’ailleurs significatifs que les quelques appels concernant des projets innovants et expérimentaux (18%  du total) portent sur l’organisation de l’offre plus que sur des évolutions dans la prise en charge des personnes. Certes, ceci n’est pas sans intérêt, mais il y a un risque réel à utiliser la procédure essentiellement dans le domaine de la maîtrise et de l’efficience de l’offre, quelles qu’en soient la nécessité et la légitimité au détriment d’autres problématiques (besoins nouveaux, modes d’accompagnement des personnes…).

Il est significatif que le rapport plaide pour maintenir cette disposition (des fenêtres pour les projets expérimentaux et innovants), malgré une certaine frilosité des décideurs, « pour répondre aux appréhension du secteur sur le risque de standardisation des réponses » (page 19). Cette remarque montre bien que la tentation normative est bien inscrite dans la procédure d’appel à projet.

Le document rappelle également quelques unes des conditions de recevabilité du projet, et notamment le respect des dispositions du Casf,  la compatibilité du projet avec les schémas et, le cas échéant avec le Priac[3]. Le document insiste sur la nécessité que le projet présente un coût de fonctionnement, en année pleine, compatible avec les dotations limitatives.

Parmi les difficultés, outre un contexte budgétaire très contraint le rapport souligne particulièrement la lourdeur de la procédure d’appel à projet. Le bilan quantitatif présenté semble l’illustrer. Il y a eu, tous niveaux confondus (Etat, ARS, départements) 62 appels à projet en 2011 et 118 en 2012. Sur ces 180 appels, 116 proviennent des ARS, soit un peu plus de 64%.[4] Le nombre de commissions installées est aussi significatif. Si 25 ARS (sur 26) l’on fait, seuls 27 départements (sur 101) y ont procédé.

Dès lors, il est quand même intéressant que le rapport ouvre sur la nécessité d’envisager des évolutions de la procédure.

Des propositions d’évolution à débattre

Bien que peu disert sur les éléments qualitatifs des appels à projet réalisés, le document reprend les conclusions des rapports des différents corps d’inspection qui ont abordé, en 2011-2012, le sujet[5].

Alors même que la majorité des appels à projet porte sur l’adaptation, un consensus se dégage pour souligner, malgré tout, les insuffisances de la procédure pour répondre à ces problématiques de recomposition de l’offre, autrement dit aussi de son évolution. Dès lors les rapports préconisent l’abandon de la procédure de l’appel à projet en ce qui concerne les transformations et l’adaptation des structures existantes, quelqu’en soit l’ampleur et les seuils concernés. Les rapporteurs préconisent d’utiliser les schémas d’organisation, dont les dispositions en ce qui concerne les transformations les créations ou les suppressions sont opposables et plus encore les contrats d’objectifs et de moyens.

Cette dernière proposition est sans doute la plus intéressante sur plusieurs plans. Tout d’abord sur un plan opérationnel, cela permet de mieux cerner les besoins et les évolutions nécessaires de l’offre de façon pragmatique sans être corseté dans une procédure dont l’on n’est pas certain que, face à un problème, elle débouche sur la solution la plus efficace voire la plus efficiente. Le dialogue permet des ajustements, des échanges facilitant la recherche d’une solution optimum. Ensuite, elle est, d’une certaine façon, plus démocratique d’une part car les acteurs conservent une part d’initiative et, d’autre part, car le CPOM s’appuie, du moins dans son esprit, sur une négociation. Enfin elle est plus souple car le contrat peut prévoir des procédures de réajustement si nécessaire. Le CPOM offre un espace potentiel de co-construction.

Certes, l’on sent bien que les pouvoirs publics visent d’abord les transformations, c'est-à-dire l’adaptation de l’offre, ou, pour le dire plus crûment, le redéploiement de moyens pour répondre à des besoins nouveaux. Il y a moins d’appétence pour aller vers des moyens nouveaux. Reste qu’il ne faut pas mélanger la procédure, en l’occurrence une procédure s’appuyant sur l’initiative partagée et la négociation, le Cpom, et le contexte budgétaire dans lequel elle se déploie même si ce dernier influence fortement le premier.

Conclusion

Les acteurs ne se sont que peu mobilisés sur cette nouvelle procédure, particulièrement avant le vote de la loi HPST. Certes, le fonctionnement des Crosms était loin d’être satisfaisant et certaines étaient devenues des formes d’assemblées « de notables du social ». Néanmoins, c’était un lieu où toutes les parties prenantes étaient réunies, où des travaux d’observation et de prospective pouvaient être conduits. Il fallait assurément les réformer mais peut être pas les transformer.

Il n’est pas trop tard, le rapport, réalisé conjointement par la CNSA et le ministère ouvre une brèche. De plus, plusieurs voix s’élèvent pour que des forums d’échanges sur l’action sociale se (re)mettent en place au plan local. Il y a là des opportunités à saisir sans forcément attendre une réforme plus profonde de la procédure d’appel à projet.



[1] Voir notamment l’observatoire du non recours (odenore.msh-alpes.fr).

[2] Certes l’on pourra objecter que les usagers sont représentés dans les différentes instances et commissions chargées d’établir les besoins ainsi que dans les commissions d’appel à projet, mais l’on est là dans une posture de « service minimum » qui est loin d’être vraiment satisfaisant au regard des discours sur les droits et l’implication des usagers.

[3] Programme Interdépartemental d'Accompagnement des handicaps et de la perte d'autonomie, outil de programmation budgétaire opposable des ARS dans leur champ de compétences

[4] Néanmoins le document ne précise pas si une partie de ces appels à projets sont conjoints avec des départements.

[5] Notamment : Soubrié D., Analyse des processus d’autorisations sanitaires et sociales, 2011, Mission d’appui au secrétariat général des ministères sociaux ; Auburtin A., Jeannet A., Vachey L., Varnier F., Etablissements et services pour personnes handicapées : offre et besoins, modalités de financement, Rapport IGAS/IGF, 2012.