Compte-rendu de la journée du 27 mai 2016: La participation des personnes, usagers de l’action sociale, acteurs du développement

Forum sur le plan d’action en faveur du travail social et du développement social[1]

 

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Les Etats Généraux du Travail Social ont abouti à un plan d’action en faveur du travail social et du développement social. Le réseau « Repolitiser l’action sociale » (www.repolitiserlactionsociale.org) a contribué aux débats lors de cette phase. Le plan, issu des réflexions transversales, articule la reconnaissance du travail social et le développement social. Le mouvement de réflexion « Repolitiser l’action sociale » a souhaité l’aborder prioritairement, dans le cadre de cette journée, par la participation des personnes, usagers de l’action sociale, considérant que celles-ci sont les premières concernées par la définition du travail social et les premiers acteurs du développement social.

1. Introduction : présentation du plan interministériel en faveur du travail social et du développement social

Le plan comporte 4 axes qui déclinent 26 engagements :

A. Faire participer les personnes et mieux les accompagner

  1. Organiser la participation des personnes à la conception des politiques publiques
  2. Introduire la participation des personnes dans les textes relatifs à la contractualisation des établissements et services
  3. Rendre obligatoire l’intervention des personnes dans les formations initiales et continues des professionnels du travail social
  4. Organiser un premier accueil social inconditionnel de proximité
  5. Créer la fonction de référent de parcours

B. Promouvoir le développement social pour simplifier les politiques publiques

  1.  Aller progressivement vers un pacte des solidarités et du développement social
  2.  Faciliter les formations interinstitutionnelles et pluri-professionnelles
  3.  Former les élus, les cadres et les dirigeants du secteur public au développement social et à la compréhension du travail social
  4.  Reconnaître le travail en réseau et l’analyse des pratiques
  5.  Organiser une conférence de consensus afin de définir les conditions de partage d’information dans un cadre déontologique
  6.  Elaborer un plan numérique pour le travail social
  7.  Créer un fonds privé-public d’innovation pour le développement social

C. 5 ans pour reconnaître le travail social et moderniser l’appareil de formation

  1. Développer l’apprentissage et le contrat de professionnalisation à partir de 2016
  2. Améliorer la formation des travailleurs sociaux à la transmission des valeurs républicaines et à la prévention des dérives radicales
  3. Systématiser les passerelles entre les diplômes d’Etat du travail social et les formations universitaires
  4. Déployer un plan pour la mixité des métiers du travail social
  5. Proposer une nouvelle organisation des stages qui permette de valider des équivalences universitaires
  6. Définir avec les partenaires sociaux les priorités nationales pour la formation en alternance
  7. Créer la première « école supérieure en intervention sociale »
  8. Revaloriser les métiers du social dans la fonction publique jusqu’à la catégorie A
  9. Inscrire le travail social dans un parcours conduisant à des grades universitaires
  10. Renforcer la qualité et l’autonomie de l’appareil de formation, labellisation à partir de 2018
  11. Définir les modalités d’introduction dans les formations sociales d’un corpus commun et des modules d’approfondissement

D. Rénover la gouvernance

  1. Transformer le CSTS en Conseil Interministériel du Travail Social présidé par une personne qualifiée ou un élu
  2. Créer des comités d’éthique locaux
  3. Mettre en place un dispositif d’évaluation du plan d’action.

 

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2. Le débat démocratique pour décider ensemble

2.1 En quoi le travail social est-il un enjeu démocratique

Nicole Questiaux, Ministre de la Solidarité Nationale (1981/1982) et auteure de « Orientations principales pour le travail social »

Avec modestie, Nicole Questiaux évoque la circulaire qu’elle a publiée il y a 33 ans, la seule ayant fait l’objet d’un « anniversaire ». Elle affirme que les travailleurs sociaux sont les « meilleurs témoins du monde ». Si tous les travailleurs sociaux partageaient leurs observations, nous disposerions en effet d’une vision globale des dysfonctionnements de la société. L’importance de « l’adresse » de 1982 est qu’elle se situait à l’interface entre les parcours individuels des personnes en difficultés et les intervenants chargés de décider des politiques sociale. C’est exactement la même position qu’occupe, trente ans après, le plan gouvernemental en faveur du travail social.

La participation :

Nicole Questiaux, dans son intervention, a insisté sur la nécessité d’être effectivement à l’écoute des usagers. Le plan officialise, pour la première fois, la participation des usagers. L’écoute de l’usager sur son projet personnel demande beaucoup d’attention. Mais, l’ancienne ministre de la solidarité nationale met en lumière l’écart qu’il y a entre le temps passé à l’écoute des usagers et la discussion avec les financeurs de l’action sociale.

Elle reconnaît, comme d’autres, que la participation institutionnelle est difficile à organiser. Elle risque de n’être réservée qu’à des usagers « spécialistes ». Elle insiste à nouveau sur le fait que la participation institutionnelle ne doit pas effacer l’écoute individuelle.

L’ouverture du plan sur le développement social pourrait, selon elle, présenter le risque d’une illusion : articuler les intervenants sociaux ne suffit pas à prendre en compte tous les acteurs des territoires (école, emploi…). Il faut rester au plus près de la pratique des acteurs de terrain.

Le responsable de l’action :

Nicole Questiaux nous dit que le premier accueil inconditionnel et le schéma d’accessibilité des services sont un enjeu majeur. Ils interviennent en contre-point d’une instabilité liée au fait que la décentralisation n’a jamais vraiment abouti. Elle nous rappelle qu’en 1982, elle avait perdu l’arbitrage avec Gaston Deferre qui a entraîné le transfert des compétences sociales aux départements. Elle maintient aujourd’hui que tout ne peut pas être décentralisé. L’Etat est ainsi réduit au rôle de pompier. Toutes les initiatives concernant l’organisation de la République ont des impacts sur le travail social.

Le positionnement des professionnels :

Nicole Questiaux pense que les professionnels ne peuvent pas être ballotés au gré des réformes. Les travailleurs sociaux doutent d’eux-mêmes. Le « moule » professionnel ne résulte pas d’une réflexion collective, il est conçu en dehors des acteurs. Il semble important à l’intervenante que les travailleurs sociaux portent leurs efforts sur les enjeux de l’avenir de leur formation. Les équivalences universitaires ne sont pas un problème technique mais un problème de statut. Sinon, les travailleurs sociaux n’obtiendront pas le respect nécessaire à la réussite de leurs missions. Cela suppose que les professionnels établissent une discipline rigoureuse et sincère d’évaluation de leur métier. Qui mieux qu’eux peut évaluer les politiques sociales ? C’est par cette voie, nous dit Nicole Questiaux, que les travailleurs sociaux donneront corps à leur « discipline ». C’est une manière de sortir de la contradiction entre l’amélioration de la qualité des prestations et la réduction des moyens financiers.

2.2 Réaction des personnes ressources

Joëlle Le Gall, présidente honoraire de la Fédération Nationale des Associations de Personnes Âgées et de leurs Familles (FNAPAEF)

Joëlle Le Gall interroge les délimitations qui, dans l’action sociale, catégorisent les personnes. Que deviennent ceux qui ont passé 60 ans, sont-ils « handicapés » ou « personnes âgées dépendantes » ? La FNAPAEF est engagée, depuis 2004, dans un travail qui implique les professionnels et les usagers afin de dépasser les limites rencontrées dans les accompagnements. Depuis 10ans, force est de constater que cela ne va pas mieux !  

Joëlle Le Gall prend un exemple pour illustrer ses critiques : la sexualité des personnes âgées. Elle constate le gouffre qui existe, à ce sujet, entre un citoyen d’avant 60 ans et un autre qui a franchi cette barrière d’âge.

Jean-Baptiste Briol, administrateur de l’association « Nous Aussi », président de son club de rugby, membre du conseil de la vie sociale de son établissement et ouvrier d’ESAT

L’association « Nous aussi » a pour but d’assurer, par elles-mêmes, la représentation des personnes handicapées intellectuelles que l’on a tendance à ne pas considérer comme des citoyens à part entière. Forte de 600 adhérents sur la France entière, d’une revue et de l’organisation d’un congrès tous les 2 ans, l’association, avec le soutien de l’UNAPEI, a travaillé sur l’accessibilité des personnes handicapées (développement du « facile à lire, facile à comprendre », réflexions sur les élections…)[2]. L’association développe également une ouverture sur l’Europe.

Jean-Baptiste Briol explique qu’au début de leur association, en 2002, ils n’étaient pas compris. Les parents pensaient que leur parole suffisait. Les lois de 2002 et 2005 ont favorisé les choses en développant la participation ce qui a changé les regards. Le mouvement parental est alors venu à leur soutien, des professionnels se sont impliqués dans les délégations locales.

Il nous invite à observer la dynamique que crée le soutien par les pairs (Cf. le rapport de Mme Dessaule « une solution accompagnée pour tous »). Il nous fait part de son souhait d’intégrer pleinement le conseil d’administration de l’ADAPEI où il est.

Marie-Claude Barroche, Présidente d’Espoir 54, présidente d’honneur de la fédération AGAPSY

Promouvoir les usagers qui ne sont pas des consommateurs, tel est l’objectif poursuivi par l’association que préside Marie-Claude Barroche. C’est ainsi que des usagers, porteurs d’un handicap psychique, ont été intégrés au conseil d’administration puis au bureau d’Espoir 54. Désormais, pour ses recrutements, l’association intègre un usager dans le jury de sélection.

Marie-Claude Barroche nous invite à constater le rôle magnifique des usagers dans la promotion de la santé mentale. Bien entendu, cela suppose un accompagnement avant et après, mais les personnes en situation de handicap psychique ont une façon de dire simplement leurs besoins qui interpelle leurs auditeurs. Elles évoquent des éléments évidents comme l’écoute, les gestes humains, la dé-stigmatisation des regards portés sur eux… De belles initiatives résultent de ces prises de parole par les usagers eux-mêmes. Par exemple : bibliothèque des livres vivants, trialogues (débats entre professionnels, usagers et familles).

Elle conclut sur une action porteuse d’avenir : la « pair-aidance ». Il s’agit de permettre un dialogue sur les stratégies pour s’en sortir entre personnes en situation stabilisée et nouveaux venus dans la structure d’accueil. En effet, le chemin parcouru vers le rétablissement donne envie d’aider les compagnons.

Raoul Dubois, membre de la Commission Consultative Régionale des Personnes Accueillies du Nord (CCRPA) et administrateur de la Fédération Nationale des Associations de Réinsertion Sociale

Les usagers doivent être force de proposition et d’évaluation. Raoul Dubois interroge : Qui mieux que les personnes accompagnées peuvent  évaluer les politiques sociales et apporter leur contribution aux formations des professionnels ? Il témoigne d’une expérience en cours à l’Institut Régional de formation des Travailleurs Sociaux de Lille où les membres de la CCRPA sont en train d’élaborer, avec les formateurs, un module de formation pour les travailleurs sociaux[3].

Raoul Dubois a activement participé aux assisses interrégionales dans le cadre des Etats Généraux du Travail Social (EGTS). Il a d’ailleurs contribué au rapport thématique sur la participation des usagers. Il explique le refus de la stigmatisation par les usagers qui a justifié le sous-titre du rapport : « Merci de ne plus nous appeler usagers ! » La participation des usagers avance : il indique que la CCRPA du Nord a été chargée par la Direction Régionale de la Jeunesse, des Sports et de la Cohésion Sociale (DRJSCS) du pilotage de deux groupes de travail régionaux, l’un sur l’accès au droit des personnes précaires et l’autre sur les pensions de famille (anciennes maisons relais).

Antoine Coulomb, ancien jeune d’Institut Thérapeutique, Educatif et Pédagogique (ITEP)

Antoine Coulomb précise : « Devenir usager d’un établissement médico-social à 10 ans, ce n’était pas mon choix ! » Si on lui avait demandé son souhait à l’époque, il aurait demandé un avocat pour le sortir de là. Au sujet de la participation des usagers, il s’interroge concernant les enfants : qui décide ? Les parents ? L’établissement ?

A posteriori, il prend du recul et constate qu’au moment où « il fallait éteindre le feu », il avait effectivement besoin d’un cadre rassurant. Il reconnait maintenant que c’est ce que lui a apporté l’ITEP, même s’il ne pouvait le comprendre à l’époque. De son séjour en ITEP, il a une reconnaissance a posteriori, cela lui a « sauvé la vie ».

Il précise que l’adolescence est un âge charnière où tous les repères bougent, où tout change. Il y a besoin d’un cadre pour accompagner cela.

François Besnier, président de l’association Prader Willi France[4], membre d’Eurordis réseau européen des maladies rares.

De quelle parole parle-t-on quand on dit « entendre la parole des usagers » ? N’est-ce pas plutôt une parole projetée sur eux ? On écoute les usagers mais sont-ils entendus ? Par ces questions, François Besnier montre à quel point il est difficile de maîtriser ce qui se passe pour les usagers. C’est le constat récurrent que fait son association. Pourtant les textes ne manquent pas (charte des droits des personnes handicapées de l’ONU, loi de 2005…). Nous sommes passés des « bénéficiaires de l’aide » à des « clients de services ». Il nous dit ne pas être séduit par une approche totalement libérale : on produit de l’aide mais que produisent les politiques publiques ? Par exemple, le rapport Piveteau est très intéressant mais quelle est sa mise en œuvre ? Où sont les lignes de forces opérationnelles ?

En fait, François Besnier pense que nous sommes des « usagers de services » : « nous sommes au centre, on est encerclés ! C’est un cadre très contraignant. » Il illustre son propos par le modèle économique des ESAT. Quel est leur avenir dans un contexte de concurrence de plus en plus vif ? C’est pourquoi il conclut en affirmant que le travail local a besoin d’un cadre défini nationalement.

Derrière les débats sur la participation des usagers, il pense que ce sont des questions éthiques et philosophiques qui se posent. Nous vivons dans une société de la performance et de la norme qui n’intègre pas les différences. Or, on ne s’enrichit que de nos différences. L’accompagnement, l’étayage des professionnels apportés aux usagers ne visent qu’à leur permettre de reprendre place dans une société d’interdépendance.

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Pour « Repolitiser l’action sociale », 3 prérequis conditionnent la mise en œuvre d’une participation effective des usagers en profitant des idées de la démocratie participative :

  • Il faut reconnaître l’expertise des usagers : expertise tirée de leur situation qui leur permet de porter un regard tant sur les actions conduites que sur leurs effets.
  • Pour cela, les usagers doivent être associés à toutes les étapes du processus : sa conception, sa mise en œuvre et son évaluation.
  • Cela suppose la mise en capacité des usagers et pour cela, il faut développer des formations, de la compréhension, de la simplification.

Trois remarques complètent ces points :

  • Nous sommes engagés dans un processus qui rebat les cartes : il faut donc repenser le rôle des fédérations qui s’autorisaient à parler au nom des usagers, donc parfois à leur place.
  • Une question subsiste : que font les pouvoirs publics de la parole des usagers ? Il faut maintenant passer de la co-construction des politiques publiques à la co-décision.
  • A l’image des associations de patients du champ sanitaire, il faudrait développer le lobbying de groupes d’usagers.

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2.3 Ce qui ressort du débat de la matinée

Nicole Questiaux partage le constat : « Nous sommes écoutés de plus en plus poliment mais pas forcément entendus, surtout quand il s’agit de passer à la pratique, là ce sont des vécus d’impuissance qui dominent. » C’est pourquoi elle nous invite à « être têtus » car « pour passer des mots aux choses, il faut parfois plus de dix ans ! »

Penser la co-construction et l’approche globale de la personne supposerait plus de recherches associant les professionnels et les usagers. On peut être associés mais qu’est-ce que cela produit ? Il faudrait cesser de penser les enveloppes budgétaires à partir des disponibilités mais  partir des besoins. Cela suppose de « faire ensemble », mais pas pour défendre chacun son petit carré d’herbe.

La participation suppose des moyens. Les Commissions Consultatives Régionales des Personnes Accueillies (CCRPA) jouissent maintenant d’une reconnaissance légale par la loi ALUR  (loi pour L’Accès au Logement pour un Urbanisme Rénové) mais rien n’est dit sur leur financement.

Un collègue genevois témoigne de la situation de la structure qu’il dirige à Genève dans le champ du handicap psychique. Là les « usagers » s’appellent « utilisateurs ». L’Etat finance mais ne s’occupe pas du « comment » : l’expertise est réellement sur le terrain. La participation qu’ils ont expérimentée a entraîné une évolution de la gouvernance de la structure : ils sont labellisés ISO et trois utilisateurs sont auditeurs internes pour la qualité. L’autonomie des usagers suppose que toute la chaîne soit autonome.

Pour compter, peser, sur les décisions, il faut disposer d’une puissance de feu, d’un rapport de force à construire. L’histoire nous enseigne à ce sujet : Le poids des usagers dans les institutions trouve, en partie, sa source, lors de l’épidémie du SIDA des années 80 où des malades ont fait valoir leurs revendications.

Nicole Questiaux précise que nous ne percevons ici qu’une partie de l’iceberg des politiques publique, partie qui n’intéresse d’ailleurs que les professionnels et les usagers de l’action sociale. Actuellement, le travail social est grignoté par le marché. Pour ce faire, on découpe les tâches : on divise le besoin complexe d’une personne en petites tâches ce qui ouvre la voie à des marchés. Dans ce contexte, nous n’avons pas assez investi l’imagination alors que le sort d’une cohorte énorme de nos contemporains est de devenir handicapé (du fait du grand âge). « Cela suppose que nous prenions conscience collectivement que l’autre n’est pas autre, c’est moi ! »

Marie-Claude Barroche indique qu’il faudrait chiffrer les coûts induits par l’absence de suivi, par cette logique d’interventions ponctuelles, non reliées entre elles. Par exemple, quand un patient sort d’un séjour en hôpital psychiatrique et qu’aucun lien n’est établi pour l’accompagner après : les risques de rechutes sont importants. L’économie consiste alors à mettre en lien tous les secteurs d’action autour de la personne.

Un président d’association témoigne : Il existe une tension entre la clinique (le récit, la rencontre, la proximité) et le retrait de l’Etat, qui génère une défaillance de la solidarité collective. Une association d’action sociale n’est pas que gestionnaire, elle est d’abord porteuse d’une vision militante sur la société. C’est un espace collectif qui met en mouvement les administrateurs, les professionnels et les usagers.

La participation des usagers est un enjeu pour les associations. Celles-ci sont très frileuses pour associer les usagers. On se paye de mots sans être très courageux alors que ce devrait être un mode d’action.

Jean-Baptiste Briol reprend la parole pour préciser que l’ADAPEI l’intéresse parce qu’elle est proche de ses valeurs. Ses engagements associatifs le rapprochent du milieu ordinaire. Il rappelle que les personnes handicapées ont le droit de vote, comme tout le monde et qu’il convient donc de prendre en compte les décisions et positions des personnes handicapées intellectuelles. Il interpelle les participants : « Vous les professionnels et les politiques, vous nous laissez de côté au lieu de nous inclure » Et il cite les lieux où ne siègent pas les personnes handicapées : les conseils municipaux, les conseils d ‘administration des associations…

Un salarié de l’Association des Paralysés de France témoigne de l’engagement de cette association – à la fois militante et gestionnaire – dans la participation des usagers : dès 2002 a été créé un conseil national des usagers (regroupant des représentants des CVS locaux). L’APF est engagée dans la valorisation de l’expression et de la participation des usagers : organisation d’espaces décloisonnés de participation ; mise en valeur d’initiatives collectives de participation ; en décembre 2016, une journée nationale conclura cette démarche.

3. Participation et pouvoir d’agir des usagers

3.1 Qu’est-ce que le plan d’action va apporter au pouvoir d’agir des usagers ?

François Soulage, Président du Collectif Alerte, chargé du suivi et de l’évaluation du plan d’action en faveur du travail social et du développement social

François Soulage resitue le plan d’action dans le contexte des Etats Généraux du Travail Social. Il a été préféré à une grande célébration finale de la démarche engagée en 2014 un travail de fond avec les 5 rapporteurs des rapports des groupes de travail thématiques pour élaborer un plan d’action. Il précise que les rapports thématiques ne sont pas des rapports consensuels. Des désaccords subsistent et nous les retrouvons dans les critiques formulées à l’égard du plan d’action. Il y a des critiques radicales qui remettent en cause le plan dans son ensemble et des critiques plus ponctuelles sur des propositions qui ne sont pas tout à fait abouties. C’est, par exemple, le cas du référent de parcours dont certains ne voient pas sa place dans les dispositifs existants.

François Soulage convient qu’une partie des préconisations du plan pose des problèmes de mise en œuvre, de financement, d’articulations. Par exemple, une réingénierie des diplômes doit être conduite ainsi qu’une revalorisation des classifications. Mais ne faut-il pas préalablement repenser les diplômes au regard des pratiques réelles (et non d’une définition préétablie des métiers) avant d’envisager la revalorisation ? Les départements réagissent et demandent des clarifications. De plus, la notion de modularité des cursus se heurte aux cultures professionnelles et particulièrement aux établissements de formation des travailleurs sociaux.

Cependant, François Soulage précise qu’il faut rapidement prendre des mesures visibles pour montrer l’évolution du travail social, pour le resituer dans ce qu’il devrait être. Pour ce faire, il cite trois points qui lui importent en premier lieu : la participation, l’accueil inconditionnel et le référent de parcours.

La participation des personnes :

Pour François Soulage, afin de garantir la réussite de cet objectif, il ne faut pas aller trop vite (griller des étapes). Il ne faut pas créer une participation alibi mais faire évoluer les choses pas à pas afin de ne pas sauter d’étape.

La participation ne peut être limitée à une dimension individuelle. Or le collectif suppose des moyens et le plan n’en dit rien. François Soulage propose de partir des expériences des CCRPA pour profiter des expériences accumulées et envisager à quels niveaux elles peuvent être reproduites. Cela suppose également que la Commission Consultative des Personnes Accueillies (CCPA) soit réellement l’émanation des CCRPA. C’est donc, selon lui, une réflexion sur les niveaux pertinents de déploiement de la participation qu’il faut conduire pour faire avancer les choses. La diffusion/reproduction, doit ainsi se faire soit au niveau immédiatement au-dessus, soit au niveau immédiatement en-dessous. Aller trop vite en ce domaine nous expose au risque de ne rien faire.

Concernant la participation institutionnelle, cela suppose d’entrer sur le fond de la politique de l’institution. Cela demande du temps pour laisser se dégager les personnes intéressées par ce niveau de participation. Il nous faut prendre le temps de l’expression de la personne pour changer de regard. Sinon, nous risquons de ne retenir que des usagers « spécialistes » de la représentation. Fondamentalement, cela suppose une réflexion sur le fonctionnement des institutions. Pour illustrer ces risques, François Soulage nous livre son analyse du fonctionnement du 8ème collège du Conseil National de Lutte contre les Exclusions (CNLE) : Les usagers donnent leur avis mais celui-ci n’est jamais repris.

Pour dépasser la participation alibi, il faudrait :

  • Un dialogue qui va au-delà de la simple expression ;
  • Une représentation collective pour donner du poids à ce qui est dit ;
  • Des récits plutôt que des prises de position ;
  • La création de mécanismes de débats plutôt qu’une nouvelle institution de participation.

Le plan prévoit d’intégrer la participation dans les textes relatifs à la contractualisation (Contrats Pluriannuels d’Objectifs et de Moyens - CPOM) ainsi que dans les formations. François Soulage précise qu’en formation continue, il y a besoin de confronter les professionnels à des récits qui constituent des matériaux sur lesquels peut se fonder un travail de formation en partant des situations.

L’accueil inconditionnel de proximité :

François Soulage insiste sur la nécessité de sortir du travail « en silos ». Il faut créer des passerelles entre les secteurs : petite enfance, logement, emploi, etc. Actuellement, la première prise de contact avec un service social tend à orienter la personne vers un silo au détriment des autres champs d’action ou secteurs d’accompagnement.

Le terme « inconditionnel » signifie la prise en compte de la personne, quels que soient le problème, la personne, la demande… Il s’agit de prendre le temps d’accueillir quelle que soit la situation.

Le référent de parcours :

La méthodologie préconisée dans le plan d’action est d’expérimenter cette fonction de référent de parcours d’abord pour des cas complexes. Il s’agit d’un professionnel qualifié qui est en charge de coordonner l’action des intervenants  pour le bien de la personne. De répondre aux questions transversales : Comment ? Pourquoi ? Cette fonction pose le problème du partage des informations.

Ce thème rejoint celui de la journée : repolitiser l’action sociale parce qu’on ne peut pas continuer à traiter les personnes comme des objets. Nous devons prendre les moyens de leur autonomie en lieu et place de la suggestion, de la dépendance. Le référent de parcours devrait permettre d’atteindre ces objectifs.

3.2 Ce qui ressort du débat de l’après-midi

Une comparaison est proposée entre le référent de parcours et le médecin traitant. Une autre entre l’accueil inconditionnel de proximité et les dispositions relatives à la domiciliation (dont le fonctionnement n’est pas forcément simple).

Un lien est réaffirmé entre la participation des usagers et le rôle des associations et plus particulièrement des associations d’usagers qui sont le lieu et le moyen de construction d’une parole collective fondée sur des récits individuels apportés par les personnes directement concernées.

Le référent de parcours, c’est une personne qui est capable de témoigner, d’accompagner le parcours de vie de la personne Il peut s’agir d’un travailleur social mais aussi de tout autre intervenant. Des questions émergent : qui va désigner le référent de parcours ? S’agit-il d’une nouvelle fonction à créer ? Ne vient-elle pas alors s’ajouter aux différents coordinateurs qui existent déjà ?

En Suisse, les éducateurs ne sont pas formés à prendre en compte les demandes des usagers. Il y a peu de plans de suivi et la demande de l’usager n’apparaît pas. La prise en compte de la parole de l’usager suppose de se libérer d’un management pyramidal.

L’accueil inconditionnel de proximité n’est-il pas déjà effectif dans les départements par les missions du service social territorial ? Ne sont-ce pas là les missions assumées par les assistants sociaux polyvalents de secteur ? Il semble que la définition donnée, dans le plan d’action, des référents de parcours correspond mot pour mot à cette fonction. Il est vrai que cette fonction, toujours présente dans les missions du service social, tend à s’estomper par la dérive des objectifs vers l’accès au droit qui provoque un transfert de compétences vers des métiers administratifs. Finalement, le groupe tombe d’accord sur un point : l’accueil inconditionnel est une mission qui incombe aux départements, pas un nouveau métier à créer.

François Soulage précise que, selon lui, il s’agit d’identifier dans les départements, et notamment dans les schémas d’accessibilité aux services publics ce que sont les besoins d’accueil inconditionnel, les lieux où ils se réalisent déjà.

De même, il existe déjà des référents de parcours attachés à des dispositifs (mission locale, insertion, logement…). La notion de parcours peut avoir un caractère ponctuel (aller d’un point à un autre et se retirer quand l’objectif est atteint). Le référent de parcours apparaît alors comme un « passeur de relais ». Pour les personnes âgées, il existe déjà des outils (CLIC, tuteur, MAIA…). Qui sera référent de parcours en Ehpad ? Comment s’articule-t-il avec la personne de confiance ? Où se situe le choix de la personne âgée dépendante ? En matière de protection de l’enfance, la loi a institué un référent du projet pour l’enfant. En ces domaines, il serait fructueux d’aller observer ce qui se passe dans les centres sociaux.

François Soulage précise un point essentiel : le référent de parcours, c’est le choix de la personne, il n’est donc jamais imposé.

Dans cette affaire, ne risque-t-on pas de commettre une erreur méthodologique qui consisterait à chercher des solutions aux dysfonctionnements remontés des Etats Généraux du Travail Social sans prendre le temps d’analyser les causes de ces problèmes ? Il en résulterait, une fois de plus, un empilement des dispositifs.

Le référent de parcours n’apparaît-il pas du fait de la remise en cause progressive des missions globales qui étaient précédemment assumées par les conseillères en économie sociale et familiale, les assistantes sociales ? En fait d’évolution, ne s’agit-il pas d’une involution des dispositifs ?

Pour mettre en œuvre la nouvelle dynamique préconisée par le plan, nous pourrions imaginer d’associer les usagers (par le biais d’associations d’usagers) à l’élaboration des cahiers des charges des appels à projet ?

Il conviendrait de penser les référents au plus près des usagers, dans les lieux où ils vivent, les quartiers qu’ils habitent.

Les Conseils de la Vie Sociale (CVS) sont évoqués comme des structures obsolètes, voire dépassées (« du siècle dernier ! ») qu’il conviendrait maintenant de dépasser pour faire mieux et plus. Cependant, certains justifient de leur utilité. Elles permettent l’ouverture de l’établissement sur l’extérieur, elles permettent de formuler des avis sur les projets, elles peuvent contribuer à l’organisation de temps forts ou d’évènements dans la vie de l’établissement. Pour accroître leur poids, ne faut-il pas envisager la formation des élus dans les Conseils de la Vie Sociale ?

Jean-Baptiste Briol rappelle le groupe à la réalité : ce sont les usagers qui font fonctionner les établissements et services sociaux et médico-sociaux, ce sont eux qui font vivre les professionnels, il ne faudrait pas l’oublier ! Or, les professionnels mettent les usagers de côté.

Le pouvoir d’agir des usagers ne pourra se réduire à l’application des préconisations du plan. C’est une dynamique à créer, pas simplement une liste d’instances ou d’institutions à mettre en place. C’est un « faire ensemble » à construire entre nous pour constituer un collectif qui donne de la saveur au vivre, pas de la procédure.

4. Conclusion

Les échanges de la journée ont mis en lumière quelques repères importants :

  • Tout d’abord, force est de constater que le plan sera ce que nous en ferons. Il nous revient, aujourd’hui, de prendre l’Etat au mot et de nous approprier, professionnels et usagers, les préconisations du plan d’action pour les faire vivre là où nous sommes.
  • C’est bien au niveau local qu’il faut agir. C’est ce que nous changerons dans nos établissements et services qui sera force de transformation pour l’action sociale dans son ensemble.
  • Pour cela, il faut « faire ensemble » et les débats d’aujourd’hui montrent l’intérêt de construire du collectif : entre professionnels et usagers bien sûr mais aussi en développant les organisations collectives d’usagers pour qu’ils portent une parole qui leur est propre et qui ne peut être dite par personne à leur place. Bien entendu, ce « faire ensemble » suppose d’assumer la conflictualité d’un rapport où des intérêts différents sont en jeu. Si la parole des usagers ne bouscule pas, c’est signe qu’elle n’est pas à sa place, qu’elle a été récupérée.
  • Enfin, il faut s’organiser pour construire des espaces collectifs où s’élaborent des prises de position. Il s’agit de s’organiser pour peser à tous les niveaux : micro, méso et macro, c’est-à-dire au niveau des lieux d’action, au niveau des instances, des départements, des régions et de l’Etat.

Repolitiser l’action Sociale entend être un de ces lieux de construction d’une parole collective et une force de proposition pour mieux équilibrer les pouvoirs dans un processus de changements des pratiques.


[1] Cf. le dossier de la revue Direction(s) n°140, mars 2016 : « Travail social, Des repères pour demain »

[3] Cf. le dossier de la revue Direction(s) n°138, janvier 2016 : « Participation, le pouvoir aux usagers »