La notion de parcours, nouveau paradigme de l'action sanitaire et sociale ?

Même si elle n’est pas nouvelle, la notion de parcours, et plus précisément, de parcours personnalisé, s’impose de plus en plus en matière d’action sanitaire ou sociale.

Initialement, cette notion est d’abord apparue dans les pratiques professionnelles dès lors que s’affirmait la nécessité de prendre en compte la singularité de l’usager. Les deux lois de 2002, celle de janvier relative à l’action sociale et celle de mars relative aux droits des patients ont conforté cette approche qui, pour certains, était loin d’être nouvelle. Incontestablement, en lui donnant une reconnaissance législative, cet affichage a amplifié cette forme d’accompagnement. Ceci a été aussi renforcé par la réaffirmation des droits avec la volonté de les rendre effectifs et particulièrement  au travers de la notion de consentement, qu’il soit libre et/ou éclairé. Un certain nombre de textes et de positionnements ont ensuite contribué à élargir ces exigences à quasiment tous les secteurs de l’action sociale. La personnalisation de l’accompagnement, qui doit être le plus adapté possible à la situation et aux besoins de la personne, nécessite de réfléchir l’action en termes plus processuelle dans un cadre de parcours individualisé.

Cette nouvelle approche se traduit et se ressent aujourd’hui dans les pratiques. La nouveauté vient de ce que cette notion tend à devenir aussi un mode de régulation, pouvant ainsi reconfigurer assez significativement les structures et les modes de gestion des politiques sanitaires et sociales.

Le parcours comme élément structurant des politiques publiques ?

C’est d’abord dans le champ sanitaire que ce qui constitue en partie un nouveau mode de régulation voire de gouvernance, apparaît. Annonçant la future réforme de la santé publique, Marisol Touraine a précisé que celle-ci serait organisée autour du parcours de la personne. Le but est de supprimer peu à peu les ruptures de prise en charge pour les usagers et donc de mettre fin aux multiples cloisonnements qui les provoquent.

Déjà, l’article 70 de la loi de financement pour la sécurité sociale pour 2012 a prévu une expérimentation d’une structuration de l’offre autour de parcours en ce qui concerne les sorties d’hospitalisation. L’article 48 de la loi pour 2013 permet des expérimentations autour du parcours de personnes âgées en risque de perte d’autonomie (PAERPA)[1].

Plus largement, le gouvernement envisage un mode de tarification spécifique pour les parcours qui viendrait compléter l’actuelle tarification à l’activité (T2A). Les contours d’une telle innovation sont loin d’être définis, voire même dessinés. Cela pose des questions qui ne sont pas sans impact politique et notamment celle de la rémunération à l’acte des médecins et paramédicaux d’exercice libéral. Cela impliquerait aussi de rompre, dans les faits, avec le modèle d’hospitalo-centrisme qui structure l’offre de soin institutionnelle depuis plus de cinquante ans, ce qui est loin d’être gagné.

Les grilles d’analyse qui président à la conception même des politiques publiques sociales vont se trouver également affectées. Jusqu’alors, l’approche des besoins sociaux fondant les politiques s’appuie fortement sur la construction de catégories, plus ou moins fermées, permettant de déterminer des critères d’inclusion, et donc de non-inclusion, et ainsi de donner une certaine lisibilité aux dispositifs mis en place et notamment une prévision en matière de coût.

Or la notion de parcours va, elle, s’appuyer, en partie, sur l’évaluation individuelle des besoins. Certes, cela ne fait pas mécaniquement disparaître la catégorisation et l’on peut estimer, à juste titre, qu’il y aura des invariants dans la mise en œuvre de politiques et de dispositifs qui découleront de cette logique d’individualisation. Mais la détermination de catégories va entrer en concurrence avec d’autres critères et des pratiques qui pourront conduire à des typologies de prises en charges qui traversent les catégories. Cela sera sans doute le cas au regard de la frontière d’âge arbitraire de soixante ans pour les situations de handicap[2]. Les critères d’inclusion devraient aussi être plus « plastiques », plus souples avec des marges d’appréciation plus larges laissées aux acteurs et plus particulièrement aux professionnels.

Ceci ne serait pas sans conséquence. Aujourd’hui l’accès à un médecin spécialiste, sauf quelques exceptions, se fait obligatoirement suite à une prescription d’un médecin généraliste sous peine de n’être que peu ou pas remboursé. Dès lors le volume de soins de spécialiste pris en charge dépend uniquement du médecin traitant. Même si ce modèle n’est pas totalement transférable au champ de l’action sociale, l’on peut imaginer ce qu’il en serait en laissant aux professionnels une plus large marge, non pas seulement d’appréciation, mais aussi de décision pour qualifier des situations de handicap et ouvrir ainsi des droits pour les usagers.

Reste que l’idée est à la fois intéressante et porteuse, même si les pouvoirs publics sont loin d’en avoir tirer toutes les implications. Elle correspond à une demande bien réelle des usagers, qui souhaitent une adaptation de l’accompagnement au plus près de leurs besoins individuels. Elle correspond aussi aux problématiques auxquelles nous sommes confrontés, y compris dans le champ sanitaire, qui nécessitent de plus en plus une pluralité d’acteurs et/ou de dispositifs pour apporter des réponses pertinentes et efficaces.

Dès lors, il est souhaitable que cette promotion de la notion de parcours comme nouveau paradigme structurant ne reste pas lettre morte, ce qui implique d’aborder les dimensions stratégiques que cela induit.

  

Parcours, désinstitutionalisation, partenariat, coordination.

  

Faire de la question des parcours un nouveau modèle structurant de l’action sanitaire et sociale conduit bien sur à revaloriser les problématiques de travail en réseau, de partenariat, de coopération pluridisciplinaire et pluriprofessionnelle.

Au-delà des impacts incontestables sur les pratiques professionnelles, cette nouvelle approche pose aussi des problèmes de positionnement stratégique pour des secteurs qui se sont construits selon une logique sectorielle et verticale, n’accordant, pendant de longues années, que peu de place à la question du territoire. Ce décloisonnement implique de faire des rapports horizontaux la clef de l’organisation des dispositifs et donc de relativiser la logique institutionnelle qui a présidé à la construction de l’action sanitaire et sociale. Ceci n’induit pas la disparition des institutions (au sens établissement) mais un repositionnement significatif auquel il n’est pas évident que l’ensemble des acteurs soit réellement préparé.

En effet, la notion de parcours telle qu’elle s’impose tend à reconfigurer l’articulation entre dispositifs et, pour partie, les dispositifs eux-mêmes, ce qui génère de nouvelles missions pour les professionnels.

Cela va aussi toucher les fondements mêmes des différents dispositifs et notamment, mettre les parcours comme principe organisateur, ce qui interroge la multiplicité des règles et des procédures, des critères d’accès et d’inclusion, des modes de financements publics, de la diversité des décideurs institutionnels. En effet, la diversité des opérateurs ou les fragilités des partenariats ne sont pas seules en cause. Le passage, pour un usager, d’un dispositif à l’autre le confronte parfois à des problématiques de nature administrative et financière pour le moins compliquées. La continuité des parcours impliquera aussi une plasticité des règles propres à chaque dispositif et surtout une simplification pour l’usager.

Enfin, faire du parcours un nouveau modèle structurant des politiques comme des pratiques implique de réfléchir à la façon dont vont être étayés les points de passage d’un dispositif à l’autre, points qui représentent des risques forts de rupture. Cette question renvoie à la notion de coordination qui est une dimension quasi inexistante sous une forme formalisée sauf, partiellement, dans le secteur des personnes âgées[3]. Or, outre que la coordination a un coût, elle nécessite une ingénierie particulière et des montages institutionnels adaptés.

    

Conclu sion.

    

Le décalage entre une volonté affichée de faire du parcours un nouveau  paradigme de l’action sanitaire et sociale et la réflexion sur ce que cela impliquerait est aujourd’hui considérable. Néanmoins, l’idée peut s’avérer féconde pour les usagers comme pour les acteurs. Il serait utile que ces derniers engagent aussi une réflexion autour de cette problématique sans forcément attendre d’être confronté à un projet plus ou moins ficelé, c'est-à-dire à des postures plutôt défensives.

 

 

 

 

 



[1] On notera que, incidemment, la loi constitue une nouvelle catégorie d’action publique, distincte de la « dépendance » ou des seniors, nouvelle catégorie qui reste à définir plus précisément.

[2] Barrière d’âge qui n’existe quasiment dans aucun autre pays.

[3] Néanmoins, l’histoire du développement des coordinations dans ce secteur représente une forme d’expérimentation très intéressante de nature à nourrir les discussions sur un éventuel déploiement de ce type de dispositif dans d’autres secteurs de l’action sanitaire ou sociale. Nous y reviendrons.