2014 : Vers des assises du travail social

Lors de la présentation, le 21 janvier dernier, du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, le premier ministre a annoncé sa volonté d’engager un chantier visant à refonder le travail social et, pour cela, la tenue d’assises en 2014[1].

Le constat ne manque pas d’intérêt. Pour le gouvernement, « les évolutions des politiques sociales ces quinze dernières années questionnent et bousculent les pratiques traditionnelles de l’intervention sociale ». Il est constaté que les demandes à l’endroit des travailleurs sociaux se multiplient et se complexifient et que ces nouvelles « injonctions », cumulées à certains modes d’organisation du travail et à certaines formes de management  « peuvent être sources de repli et d’usure professionnelle ».

Deux jours après l’annonce du premier ministre, c’est devant le Conseil supérieur du travail social que Marie Arlette CARLOTTI, ministre déléguée en charge des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, a précisé les objectifs de cette initiative[2]. Pour la ministre,  « nous devons trouver un ensemble de solutions qui permettront à la fois que le travail social s’adapte aux évolutions de notre société et que cette adaptation ne se fasse pas au détriment des conditions de travail des travailleurs sociaux ». Cela est d’autant plus nécessaire que « les travailleurs sociaux doivent répondre à des demandes a priori inconciliables, en tout cas gigantesques ! »

L’annonce a été accueillie positivement par la quasi-totalité des acteurs. Chacun a, de plus, fait immédiatement le rapprochement avec la circulaire de Nicole QUESTIAUX, en mai 1982, qui était en fait une adresse aux travailleurs sociaux.  Pour Pierre GAUTHIER ancien directeur général de la DGAS et président de l’Unaforis, cela faisait « bien longtemps qu’un gouvernement n’avait pas appréhendé le travail social dans cette perspective globale et cohérente »[3].  Cinq thématiques principales devraient être abordées par ces assises :

  • revisiter la formation initiale et continue des travailleurs sociaux ;
  • approfondir les problématiques démocratiques et éthiques posées au travail social et plus particulièrement la question de la place des usagers dans les instances de l’action sociale ;
  • les articulations entre le travail social et le bénévolat ;
  • les modes de management ;
  • la gouvernance de l’action sociale, plus particulièrement au niveau local en promouvant, entre autre, des expérimentations de mise en réseau.[4]

Pour conduire ces travaux, le Gouvernement assure vouloir impulser une méthode participative forte au travers, notamment, de la tenue d’ateliers interrégionaux tout au long de l’année 2013. En outre, un comité de pilotage national, associant l’État, les régions, les conseils généraux, les villes, l’Union  Nationale des Centres Communaux d’Action Sociale (UNCCAS), les têtes de réseau associatives, les partenaires sociaux, les associations de professionnels et de cadres de l’action sociale, devrait être mis en place dès le premier trimestre 2013 pour préparer ces travaux.

En outre, un rôle fort sera donné au Conseil supérieur du travail social, qui, de fait, avait été plutôt mis en sommeil jusqu’à maintenant. Le choix de cette instance par la ministre pour détailler les premiers éléments des assises est symbolique. Le souci de le valoriser et de conforter ses travaux a été bien entendu.

Un projet pertinent qui nécessite encore d’être précisé

            La volonté d’une approche globale impliquant fortement les professionnels et visant une réflexion stratégique comportant aussi des dimensions de sens est plus que positive. Reste que, au vu des premiers éléments apportés, un certain nombre de questions restent posées.

            Tout d’abord, la porte d’entrée elle-même, le fait de retenir le travail social en lieu et place de l’action sociale, aurait mérité un éclairage justifiant ce choix. Le lecteur attentif notera que le premier ministre a parlé, le 21 janvier, d’assises de l’intervention sociale, notion plus large que celle de travail social retenue par la suite. Certes, les questions posées par le travail social et aux travailleurs sociaux sont multiples et nécessitent une approche particulière, et il faut bien aussi prendre les dossiers par un bout. Reste que le travail social se déploie dans un ensemble de politiques publiques qui en déterminent fortement les modes d’exercice.

            Ensuite, le périmètre donné à ces réflexions sur le travail social devra être lui aussi mieux précisé. En effet, Marie Arlette CARLOTTI est ministre déléguée en charge des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion. Quelle que soit l’importance des champs couverts, et même si le 21 janvier c’est le premier ministre qui a présenté le projet, l’action sociale embrasse d’autres secteurs d’activité comme ceux des personnes âgées, de l’enfance, de la famille ou encore de l’immigration. Il est vrai que l’action sociale est répartie entre trois ministres déléguées et qu’en fait seule Marisol TOURAINE a, en qualité de ministre des affaires sociales et de la santé une compétence générale en matière d’action sociale[5]. Manifestement elle est en retrait sur ce dossier. Une clarification sur le point de secteurs couverts s’impose.

            Puis se posera la question de l’implication des usagers dont le principe est fortement affirmé. Certes, cela n’est pas simple à mettre en œuvre. Les formes de  représentation des quelques millions d’usagers de l’action sociale est plus que balbutiante. Les regroupements sont encore fragiles et limités. De ce fait, la représentation des usagers est souvent captée, sous une forme ou sous une autre, par des professionnels. Reste que des expériences existent. Des premiers regroupements se font jour. La tenue de ces assises peut être l’occasion de les reconnaître, de les amplifier et de faire un pas significatif pour assurer cette représentation largement souhaitée. Pour cela il faut des modes opératoires ciblés et spécifiques qui devront être définis précisément. En tout état de cause, il parait difficile d’engager une réflexion de fond sur le travail social (ou plus largement sur l’intervention sociale) sans se confronter directement à la parole des usagers.

          Enfin, la question de l’articulation de l’action sociale avec les autres politiqués publiques ne pourra pas être occultée même si elle ne constitue pas le cœur de ces assises. En effet, les problématiques que cela recouvre percutent aussi bien les représentations, que les questions de sens, les dimensions stratégiques, opérationnelles et professionnelles. L’impasse totale fragiliserait l’ambition affichée pour ces rencontres. Rappelons que Marie Arlette CARLOTTI a insisté, dans son propos du 23 janvier, sur la nécessité pour les travailleurs sociaux de s’adapter aux évolutions de la société, ce qui est nécessaire. Mais la société a aussi un travail à faire sur elle-même comme le préconise la loi de 1998 sur l’exclusion ou celle de 2005 sur le handicap. L’adaptation ne peut être univoque.

            Il conviendra d’être attentif aux précisions qui s’imposent et qui ne manqueront pas de se produire dans les semaines à venir notamment au travers des travaux des premiers ateliers interrégionaux et de ceux du comité de pilotage dès lors qu’il sera mis en place. Néanmoins, être vigilant ne doit pas conduire à sous estimer les dynamiques qu’une telle initiative peut recouvrir et les enjeux dont elle est porteuse.

Un projet qui s’inscrit dans une revitalisation de l’idée d’un modèle solidaire d’action sociale

       Le Gouvernement inscrit, clairement ses réflexions sur les questions sociales dans une logique de renouveau de la cohésion sociale et de la solidarité. Certes, les déclarations ne suffisent pas à transformer significativement les situations, mais leur existence offre un cadre renouvelé de pensées et de représentations[6].

      Ceci doit être apprécié dans un contexte où, depuis quelques mois, un ensemble d’initiatives et de positionnements montrent que la volonté de transformer l’action sociale selon une orientation solidaire se diffuse de façon significative. Faute de pouvoir citer toutes les initiatives, mentionnons plus particulièrement, le texte signé par trente directeurs généraux des départements, du manifeste publié par les cinq présidents d’association de lutte contre les exclusions ou les travaux du récent congrès de l’Uniopss[7]. A leur mesure, ce blog et l’appel fondateur du réseau « Repolitiserlactionsociale » s’inscrivent pleinement dans ce mouvement.

      Certes, cela ne suffit pas à dessiner un projet suffisamment robuste pour peser fortement sur les décisions publiques mais ce n’est pas négligeable. Un copier-coller des analyses et des propositions ne suffirait pas à former une stratégie cohérente. Elle est en devenir. Mais l’espace ouvert par le projet d’atelier peut contribuer à la rencontre de ces différentes positions et postures, à la construction d’un positionnement fort et surtout à une nouvelle vision de l’action sociale, de sa place dans la société.

Conclusion

            Cette initiative est positive et porteuse, ne serait-ce que par l’ouverture d’un vaste débat auquel l’ensemble des acteurs est appelé à participer activement. Les acteurs ont là un double défi. Le premier consiste à aborder la question du travail social en la contextualisant dans le cadre des politiques publiques et de leurs formes de déploiement. C’est l’une des conditions d’une mobilisation et d’une appropriation par les professionnels eux-mêmes (et pas seulement par leurs représentants) pour qu’ils y trouvent des ressorts d’évolutions reconnues comme telles. Le second est celui de la construction d’une parole commune afin de peser dans les éléments qui ressortiront des travaux conduits. Ce dernier défi est sans doute le plus complexe au regard de ce qui se passe depuis plusieurs années. Mais, avec ce projet, un espace public institué existe et les grandes fédérations ne peuvent pas faire l’économie de l’utiliser pleinement, pour engager aussi un débat franc et constructif entre elles, dépassant les a priori et les seules postures sectorielles, parcellaires voire corporatives. De la qualité de leurs apports, de leurs capacités à créer un positionnement collectif au sein duquel les particularités auront une place qui ne se fasse pas au détriment d’un corpus commun solide, dépendront en partie, pour ne pas dire en grande partie, la qualité des travaux et surtout la portée des décisions qui pourront être prises à leur issue.

 

 


[1]Voir le dossier de presse : http://www.gouvernement.fr/sites/default/files/dossier_de_presses/dp-pauvrete_0.pdf. Les citations qui suivent sont tirées de ce document.

[2] http://www.social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/Discours_CSTS_CARLOTTI_23_01_13.pdf.  Les citations des propos de la ministre sont issues de ce document.

[3] Les ASH n°2795 du 1er février 2013.

[4] Sans attendre les assises, un cahier des charges relatif à ces expérimentations pourrait voir le jour en 2013.

[5] Outre Marie Arlette Carlotti, il y a Michèle Delaunay pour les personnes âgées et Dominique Bertinotti pour la famille, incluant l’enfance.

[6] Voir notamment le billet de la semaine du 14 janvier 2013

[7] http://www.cg54.fr/fileadmin/Documents/Arborescence/Actualites/2012/action_sociale_dg.pdf. (texte des DGS) ; G.Aurenche (CCFD- Terre Solidaire),C. Deltombe (Emmaüs), PY.Madinier (ATD Quart-Monde), P.Peugeot (Cimade), F.Soulage (Secours Catholique), Nous pouvons (vraiment) vivre ensemble, Paris, Les éditions de l’Atelier, 2002 ;  Uniopss : www.uniopss.asso.fr