Les agences sociales en question

Dans le cadre de la modernisation de l’administration publique, qui remplace la révision générale des politiques publiques, le premier ministre a annoncé sa volonté de réduire le nombre d’agences ou autres autorités indépendantes ainsi que les nombreuses commissions et comités mis en place au fil des années et dont l’utilité n’a jamais vraiment été évaluée.

Il est vrai, que les agences (ou organismes assimilés) ont proliféré ces dernières années (Anesm, Anap, Cnsa notamment). Ce mouvement a toujours été ambivalent entre des formes de désengagement de l’Etat et l’impulsion de nouveaux modes de gouvernance permettant, notamment, d’intégrer plus fortement d’autres acteurs que ceux des administrations centrales.

C’est dans ce contexte qu’a été demandé à chaque ministère de faire un état des lieux et plus particulièrement d’examiner la situation des agences comportant moins de cinquante agents d’ici la fin du premier semestre 2013. Le champ de l’action sociale est pleinement concerné par cet objectif.

D’ores et déjà deux annonces sont à souligner même si elles ne concernent que partiellement le champ social. Il s’agit tout d’abord de l’annonce de la suppression de l’agence nationale des services à la personne (ANSP) dont les missions seraient réintégrées, fin 2013, au sein de l’administration. Cette solution n’est pas particulièrement choquante. Restera à savoir où ces différentes missions seront réinternalisées. Si pour les services de droit commun un transfert vers la direction de la concurrence, comme cela semble envisagé, ne pose pas de problème particulier, il n’en va pas de même pour les services destinés aux publics dits « fragiles », enfants de moins de trois ans, personnes en situation de handicap, personnes âgées qui s’inscrivent dans le champ de l’action sociale. Dès lors, il est plus que souhaitable que la DGCS retrouve une compétence explicite pour ces services.

Par ailleurs la mission nationale d’appui en santé mentale (MNASM), créée il y a une vingtaine d’année par le docteur Gérard Massé, est supprimée au profit de l’Anap, qui au passage se voit confortée[1]. L’on peut discuter pour savoir s’il fallait conserver ou pas une mission dont l’activité, semble t-il, s’était ralentie. Reste que deux éléments interrogent. D’une part la méthode, les critères de suppression sont loin d’être clairs et la logique de réorientation des missions n’est pas vraiment compréhensible. En effet, l’ANAP oriente l’essentiel de ses activités vers des questions techniques et organisationnelles alors que la MNASM était plutôt axée sur un appui aux politiques publiques en matière de santé mentale sans se limiter aux structures. A la limite, une absorption par la HAS aurait été infiniment plus logique.

C’est dans ce cadre général que le GNDA a pris l’initiative de formuler des propositions sur le sujet sans attendre que des solutions soient imposées[2]. Cette prise d’initiative est incontestablement positive. Comme le souhaite ses auteurs, ce texte doit contribuer à nourrir des débats. Les propos ci-dessous sont donc une contribution à la discussion en souhaitant que celle-ci mûrisse et s’élargisse.

Une proposition favorisant la lisibilité de l’action sociale

Le texte s’appuie sur le double constat du foisonnement d’agences de toute nature dans le champ social et un manque d’efficacité et de lisibilité. La proposition centrale qui est faite par le GNDA vise à (re)donner une visibilité forte au champ social, visibilité qui fasse sens et qui permette de gagner en efficacité et en efficience.

Cette optique tranche avec le mouvement initié par le loi HPST de 2009 qui a plutôt conduit à un rapprochement du sanitaire et du médico-social et donc à une coupure entre ce dernier et le social[3]. Il  parait effectivement nécessaire de remettre en question cette logique et ce pour au moins deux raisons. La première est que la catégorie de médico-social est d’abord une catégorie administrative qui marque l’existence, pour tout ou partie, d’un financement par l’assurance maladie de structures sociales (enfance handicapée, Ehpad…). Ce n’est pas réellement une catégorie d’action[4]. La seconde est que cette logique traverse les champs des personnes âgées et celui du handicap, certaines structures relevant du médico-social d’autres du social, ce qui va poser des problèmes de gouvernance notamment avec le mouvement de décentralisation et le fait que le la loi donne, aux conseils généraux, une compétence de pilote de l’ensemble des politiques en faveur des personnes âgées ou en situation de handicap, que cela relève du social ou du médico-social (article L.121-1 du Casf). Relevons enfin que la création de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) procède, entre autres, d’un rapprochement entre le médico-social et le social.

Dans ce cadre, le GNDA récuse l’idée d’une absorption par la Haute autorité de santé (Has) d’une partie des missions d’agences positionnées sur le champ social et plus particulièrement de l’Anesm. En outre, compte tenu de ses missions actuelles, il n’est pas certain qu’un accroissement du périmètre de la HAS soit de nature à gagner en efficacité et en efficience.

Le GNDA propose donc la création d’une nouvelle agence, une haute autorité  de l’action sociale et médico-sociale (H2asms) qui aurait propension à intégrer trois fonctions actuellement dévolues à plusieurs agences : observation, développement, mise en cohérence des système d’information ; évaluation et amélioration de la qualité des prestations ; analyse de l’efficience des actions. Pour cela, le GNDA propose d’intégrer plusieurs agences existantes à cette haute autorité, notamment : l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES), l’Observatoire national de l’enfance en danger (ONED), l’Anesm, le comité national pour la bientraitance et les droits des personnes âgées et des personnes handicapées, l’ANAP (pour sa partie médico-sociale), l’Agence nationale des services à la personne (ANSP)[5].

Pour cela, cinq objectifs opérationnels seraient fixés :

  • l’ajustement de l’offre en fonction des besoins des personnes et des territoires ;
  • Le renforcement de la personnalisation des réponses ;
  • La cohérence des systèmes d’informations ;
  • Des actions visant l’amélioration continue de la qualité ;
  • L’amélioration de l’efficience par l’optimisation des moyens et une meilleure adéquation des financements aux objectifs.

Le mode de gouvernance de cette haute autorité pourrait, selon les auteurs, s’inspirer de celle de l’Anesm. Enfin, le texte souligne la nécessaire coopération entre cette haute autorité et la Has au travers de la création d’une instance formalisée de coordination.

Un texte qui soulève plusieurs questions :

  1. L’objectif de donner de la lisibilité au champ de l’action sociale est incontestablement une base solide de réflexion. Mais le texte du GNDA ne fait que référence à la loi du 2 janvier 2002  et même, de façon encore plus précise, au seul article L.312-1 du Casf qui vise les établissements et services. Il y a une contradiction majeure entre une approche action sociale (pertinente) et une réduction du champ de cette future H2ASMS à celui de la loi 2002.2 et plus encore de l’article L.312-1 qui ne concerne que  les établissements et services.[6]

 

  1. Dès lors, s’il y a lieu de réfléchir à une structure du type de celle proposée c’est bien sur le champ du CASF et non sur celui de la seule loi 2002.2 qu’il faut la constituer. Ceci apparaît comme la seule piste de réflexion cohérente.

 

  1. Néanmoins, il est clair que sortir de la référence de la loi 2002.2 et du 312-1 pose le problème de la place des acteurs et notamment  telle qu’elle est organisée au sein de l’Anesm. Une haute autorité dans le champ de l’action sociale modifierait leur place et le poids. Compiler les organes de gouvernance de toutes les agences fusionnées est impensable. Dès lors, il est évident que pour une structure élargie au périmètre du CASF, la place des acteurs telle qu’elle figure dans le COS de l’Anesm serait significativement réduite. Ce n’est pas en soi un problème, en fonction des finalités, mais il ne faudrait pas que des dimensions de place institutionnelle déterminent un certain nombre d’options, autrement dit que le choix d’en rester au périmètre de la loi 2002.2 soit guidé par de préoccupations de position institutionnelle.

 

  1. Par contre, une telle structure devrait faire une place significative aux représentants d’usagers, ce que propose le texte, en prenant garde à ce que ces places ne soient pas occupées par des professionnels, ce qui arrive trop souvent. De même une place significative devrait être réservées aux conseils généraux comme cela est aussi  bien précisé dans le texte, mais aussi aux communes ou intercommunalités (à travers l’Union nationale des centres communaux d’action sociale, UNCCAS par exemple). La réduction des représentants des fédérations et regroupements d’acteurs nécessiterait alors une réflexion sur les modes de coopération, de construction de paroles communes, ce qui ne serait pas sans intérêt.

 

  1.  Le document fait l’impasse sur le Conseil supérieur du travail social (Csts). Certes, il a été mis en sommeil et, jusqu’à ces dernières semaines, les pouvoirs publics ont fait montre de peu d’appétence pour utiliser ses compétences et ses travaux. Pour autant il reste une pièce maîtresse dans le champ de l’action sociale. En effet le CSTS reste la seule instance généraliste couvrant, sans trop de contrainte de frontière, l’ensemble du champ de l’action sociale. Certes, son organisation, son fonctionnement, ses moyens doivent être revus (et pour le moins améliorés) mais il semble qu’il y a là une piste peut être plus aisée à plaider qu’une construction hors d’eau impliquant, entre autres, que d’autres instances (Onpes, Oned) acceptent un projet de fusion (et donc de se transformer significativement) ce qui est loin d’être gagné. En tout état de cause, la crédibilité d’une proposition ne peut pas occulter cette question, et si une solution autour ou à partir du CSTS devait être écartée il conviendrait de bien expliquer pourquoi.

 

  1.  Le document n’aborde pas non plus la question de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (Cnsa) qui est aussi un organisme qui, pour les secteurs des personnes âgées et des personnes handicapées, regroupe social et médico-social et dont l’objet est la fois gestionnaire (allocations de ressources), d’animation de réseau (celui des Mdph) et d’amélioration du service rendu. Certes, il n’est pas certain qu’élargir ses prérogatives soit pertinent. Les champs de l’enfance et des personnes en situation de pauvreté et d’exclusion ne s’y retrouveraient sans doute pas. Mais la crédibilité d’une proposition implique aussi de discuter cette hypothèse même s’il apparaît, in fine, qu’il faille l’écarter.

La question de l’Anesm et de l’évaluation

L’on sent bien, mais ce n’est pas affirmé, que la question de départ est celle de l’Anesm. On la perçoit en filigrane dans tout le texte. Son mode de gouvernance est cité en exemple. D’une certaine façon, le sentiment qu’il y aurait une menace précise de la voir supprimée et/ou transférée au sein de la Has a un peu précipité les réflexions. 

En fait il y a deux problèmes quant au devenir de cette agence. Le premier est relatif à son « format » à la fois quantitatif (petite structure mais cela était voulu d’emblée), qualitatif au sens de son périmètre (la loi 200.2 prévoit plusieurs niveaux d’évaluation qui font système et l’agence est limitée à un seul d’entre eux) et politique, les conseils généraux, parties importantes du dispositif ont refusé d’être présents en son sein. La rupture entre l’évaluation des établissements et des services d’une part, et celle des politiques et des besoins d’autre part, nuit à la cohérence globale. Le second problème renvoie à l’évaluation du rôle de l’agence. Elle a incontestablement contribué (grâce aussi à la dynamique du Cnesms) à favoriser l’acculturation du secteur à l’évaluation. La production des RBPP est de qualité, lorsqu’elles portent sur les thématiques d’action. Par contre le bilan est pour le moins mitigé quant à la définition de principes méthodologiques, de repères robustes tant pour les ESSMS que pour les autorités publiques et les évaluateurs eux-mêmes.

L’évaluation, comprise comme englobant celle des besoins, celle des politiques et celle des dispositifs nécessite, dans le champ de l’action sociale, une structure dédiée, une agence de l’évaluation sociale. Ces missions ne peuvent pas être réinternalisées au sein de l’administration du fait de la nécessaire association des départements et des communes, qui sont des acteurs de l’évaluation de l’action sociale. Agence de mission, elle n’aurait pas, a priori, à se substituer à d’autres structures d’évaluation spécialisées comme l’ONPES ou l’ONED mais elle devrait permettre une lisibilité et une cohérence de tous travaux contribuant à l’évaluation du champ social (besoins, politiques, dispositifs).

Conclusion

L’objectif central de la proposition du GNDA, donner une réelle lisibilité qui fasse sens au champ de l’action sociale et médico-sociale), compris comme englobant le périmètre du Casf est importante et doit être défendue, à la condition que l’on soit bien sur l’ensemble du CASF et non sur une partie.

Pour cela, il semblerait peut être plus pertinent de s’orienter vers une rénovation du CSTS, Ce dernier pouvant devenir un conseil supérieur de l’action sociale ou si l’on veut un Haut conseil. Cela donnerait une visibilité à l’action sociale de la même façon que la HAS donne une lisibilité forte à des approches transversales en santé. Cette solution éviterait, en outre de créer une nouvelle structure. Cela permettrait aussi de structurer les réflexions sur les autres agences qui touchent à l’action sociale et, éventuellement, d’envisager d’intégrer au CSTS d’autres structures ou simplement d’autres missions. Cela impliquerait bien entendu de doter le CSTS de moyens de fonctionner suffisants, ce qui est très loin d’être le cas aujourd’hui

Un CSTS rénové, une agence de l’évaluation de l’action sociale et pas seulement des établissements et services pourraient être les deux piliers contribuant à ce besoin de lisibilité et de visibilité de l’action sociale souhaitée par le GNDA dans une logique partenariale associant acteurs, pouvoirs publics, collectivités locales, usagers. Sur cette base, pourrait alors être opérée une relecture de l’ensemble des agences et comités relevant, sous une forme ou sous une autre, du champ de l’action sociale.

Reste, enfin, que pour que ce débat soit le plus fécond possible, les pouvoirs publics doivent faire montre d’un peu plus de transparence sur les méthodes et les finalités quant à l’évaluation des agences ou autre autorité concernées. Pour le moment, il est difficile de se faire une idée sur les logiques qui président à l’évaluation voulue par le premier ministre dans le cadre de la MAP comme sur la logique et le sens des décisions prises.

 

 



[1] Voir ASH n°2797 du 15 février 2013.

[2] Disponible sur le site www.gnda.org

[3] Remarquons qu’en 2009, les acteurs (fédérations, regroupements) ne sont pas vraiment emparés de cette question et n’ont pas vraiment mesuré la portée de cette logique.

[4] Pour un développement plus long voir Savignat P., Action sociale et loi HPST : convergence ou incohérence, à paraître dans Les Cahiers de l’Actif, premier trimestre 2013, n°438/441

[5] Mais comme cela a été dit plus haut la disparition de l’ANSP est déjà programmée.

[6] Les périmètres de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (Onpes) et de l’Observatoire national de l’enfance en danger (Oned), que le GNDA propose d’intégrer à la future haute autorité,  couvrent des champs bien plus larges que la loi 2002.2 ou le L.312-1. En outre, l’Oned est une partie d’une structure plus vaste, le GIP « enfance en danger » qui a d’autres missions inscrites aussi dans le champ de l’action sociale.