La question des allocations familiales : un cas d'école ?
Le gouvernement doit trouver entre 2,3 et 2,6 milliards d’euros pour supprimer le déficit de la branche famille de la sécurité sociale d’ici 2016. Les controverses auxquelles cette annonce a donné lieu montrent à quel point le sujet est sensible dans un champ traversé d’acteurs très mobilisés autour d’un modèle fortement ancré dans la conscience collective.
Dès lors entre débats (plutôt techniques) et passions, il n’est pas facile de se repérer et de cerner les enjeux. Reste que, n’en déplaise aux courants natalistes, la politique familiale française a connu des évolutions fortes qui permettent d’éclairer les solutions possibles
L’évolution de la politique familiale en France
La politique familiale apparaît dans les années trente pour pallier une démographie déclinante. Néanmoins, si les préoccupations initiales, étaient centrées sur le soutien à la natalité, les objectifs se sont élargis par la suite.
Aujourd’hui, cette politique concoure globalement à trois objectifs : soutien à la natalité et aux familles ; conciliation vie familiale, vie professionnelle du fait, notamment, de l’augmentation continue du taux d’emploi des femmes ; lutte contre la pauvreté. Les allocations familiales proprement dites visent le premier objectif. Leur caractère universel, déconnecté des ressources des bénéficiaires n’est légitime qu’au regard du seul critère de soutien à la natalité. Le second objectif conduit à des dispositifs oscillant entre prestations et accueil collectif des enfants. Quant au troisième il renvoie à un ensemble de prestations délivrées sous conditions de ressources.[1]
La multiplicité et la diversité des objectifs et des dispositifs conduisent plutôt à parler de politiques familiales au pluriel. Elles représentent plus de 4% du PIB (un taux parmi les plus élevés des pays de l’OCDE). L’effort est donc conséquent. Et pourtant, au-delà du souci de l’équilibre financier, les politiques conduites posent un certain nombre de questions, particulièrement quant à leurs effets.
Tout d’abord le lien entre les allocations familiales et le fort taux de natalité en France, l’un des plus forts d’Europe, est loin d’être établi d’autant que, héritage de visions familiaristes du passé et spécificité, il n’y a pas d’allocation pour le premier enfant.[2] Ensuite, les dispositifs visant à concilier, vie familiale et activité professionnelle, sont loin d’être satisfaisants notamment en matière de service de la petite enfance et plus particulièrement de l’offre en matière de garde (accueil du jeune enfant, offre de loisirs adaptée…)[3]. Par ailleurs, les diverses prestations familiales ciblées peinent à agir efficacement contre les situations de pauvreté même si la majorité des prestations profite bien aux plus démunis et représente une part non négligeable de leurs revenus. En outre certaines de ces prestations, comme les allocations logement par exemple, sont trop souvent détournées de leur finalité initiale. Enfin, le système est loin d’être égalitaire, au contraire. Il avantage les plus hauts revenus notamment au travers du quotient familial bien qu’il soit plafonné (plafond baissé à 2000 euros pour 2013, sans susciter de réaction particulière par ailleurs).
C’est dans ce contexte qu’il convient de regarder les différentes pistes de réforme en présence.
Quelle politique souhaitable (et soutenable) en matière familiale ?
Depuis que Bertrand Fragonard a rendu son rapport sur les allocations familiales, les prises de positions et les points de vue n’ont cessé de se développer[4]. Mais le président de la République a d’ores et déjà balisé les discussions : toute idée de fiscalisation est écartée, de même que celle de supprimer le quotient familial.
Le rapport étudie principalement l’hypothèse d’une modulation des allocations selon le revenu, en proposant cinq scénarios. Le premier touche les ménages ayant un revenu de 7.300 euros et plus (pour deux enfants). Il génère un gain de 450.000 euros. Le cinquième vise les revenus à partir de 3.900 euros pour un rendement de 1,5 milliards. Dans le premier cas, 7% des ménages sont touchés, 28% dans le second. Le rapport propose également de mettre d’autres prestations sous conditions de ressources. En outre, il suggère d’abaisser le plafond du quotient familial à 1.750 euros (gain de 430 millions) ou à 1.500 euros (gain de 915 millions).
L’on voit immédiatement que, au regard d’économies estimées à plus de 2 milliards, c’est bien les scénarios les plus larges qui devraient être retenus, touchant de très nombreux revenus difficilement qualifiables de « hauts ». En effet, avec un seuil d’un peu moins de 4.000 euros pour un ménage avec deux enfants (modulation des allocations) ou un seuil de 1.500 euros, toujours par ménage mais dans ce cas dès le premier enfant, l’on est loin de ne mettre à contribution que les revenus aisés. En outre, l’on voit bien que les familles n’ayant qu’un seul enfant, serait d’autant plus touchées qu’elles ne perçoivent pas d’allocation familiale. La baisse de revenu serait conséquente pour une partie non négligeable de la population.
En outre, au vu des seuls extraits publiés, le rapport ne propose pas de mesures correctives (sous forme de redistribution), ni d’aide au premier enfant, ni de dispositions pour la moitié des ménages qui ne paient pas d’impôts sur le revenu et donc ne bénéficient pas des avantages du quotient familial.
L’on peut penser qu’une politique familiale axée sur d’une part sur une aide forfaitaire à l’enfant nettement revalorisée, et ce dès le premier, et, d’autre part, sur le développement d’un service (renforcé et très sensiblement développé) de la petite enfance, priorisant les modes de garde, irait dans le sens d’une simplification et d’une plus grande efficacité.
L’introduction de l’aide forfaitaire dans le revenu imposable contribuerait à agir contre les inégalités en évitant le piège des effets de seuil (où les plus gros contributeurs ne perçoivent rien en retour). L’on pourrait ainsi prendre en compte, par le jeu des parts fiscales, les formes particulières de la famille, monoparentale par exemple, ou les séparations avec garde alternée (en attribuant une ½ part par enfant à chaque parent concerné). Le service public de l’enfance étant par ailleurs l’outil privilégié de la conciliation vie familiale et vie professionnelle.
Ceci impliquerait de supprimer le quotient familial, qui coûte près de 15 milliards par an, et, malgré le plafond, 48% de ce montant profite à 10% des ménages. Les sommes en jeu dégageraient des marges confortables pour augmenter les aides et développer les modes de gardes[5].
Conclusion
Les débats autour des politiques familiales soulèvent ainsi de très nombreuses questions qui renvoient à la fois à des dimensions stratégiques (universalité ou conditionnalité, équité et lutte contre les inégalités, finalités et efficacité…) mais aussi à des aspects plus conjoncturels marqués par la nécessité de réduire les déficits et au-delà les dépenses publiques.
Or, les objectifs macro-économiques que le gouvernement s’étaient fixés ne sont pas au rendez vous. Le déficit public 2012 est supérieur aux prévisions pour 2013 (un déficit ramené à 3%) et sans doute celles pour 2014 ne seront manifestement pas tenues. Or les marges de manœuvre s’amenuisent. La croissance sera quasi nulle (+ 0,1% pour la dernière prévision), la consommation des ménages, principal moteur ces dernières années, fléchie et la voie de la fiscalité apparaît comme obstruée. Dès lors, le seul levier restant est celui de la réduction de la dépense publique en général et de la dépense sociale en particulier. Néanmoins, le programme de modernisation de l’action publique (MAP) qui a remplacé la RGPP peine à porter ses fruits. Certes ceci renvoie d’abord à une méthode plus qualitative et moins expéditive que le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux, qui est incontestablement un progrès. Mais c’est le sens général que l’on perçoit mal, la stratégie, les objectifs de moyen terme et surtout les plans d’action pour les atteindre. Le recul sur l’acte III de la décentralisation (le projet vient d’être découpé en trois et l’essentiel est reporté sans échéancier précis) illustre ces incertitudes quant à la stratégie.
Reste les dépenses sociales.
[1] Pour un panorama assez complet (mais hélas datant un peu), voir Commaille J., Strobel P., Villac M., La politique familiale, Paris, La Découverte, collection Repères, 2002.
[2] Néanmoins le quotient familial joue dès le premier enfant mais cela ne concerne que la moitié des ménages assujettis à l’impôt. Mais là aussi, nulle corrélation ne peut être établie entre natalité et situation au regard de l’impôt sur le revenu.
[3] Accessoirement, de nombreux chercheurs estiment que tout ce qui facilite la conciliation entre vie familiale et travail est bien plus pertinent pour soutenir et favoriser la natalité. Or le manque de places d’accueil est estimé entre 300.000 et 500.000 avec des disparités territoriales d’équipement variant de 9 à 80 places pour 1.000 enfants de moins de 3 ans.
[4] Le rapport n’est pas, à ce jour, accessible dans son intégralité. Il devrait être publié sur le site du Haut conseil de la famille, www.hcf-famille.fr
[5] Selon Denis Clerc (Alternatives économiques n°323, d’avril 2013, p.63) cela permettrai une aide forfaitaire à l’enfant de 750 euros dès le premier. Rappelons qu’actuellement une famille ne perçoit rien pour un enfant, 128,57 pour deux, 293,30 pour trois ou 458.02 pour quatre.