Retraites : une vraie question, une fausse urgence

L’on vit plus longtemps et plus longtemps sans incapacité majeure pour accomplir les actes de la vie quotidienne. Cela doit nous conduire à repenser les questions du vieillissement et de leur rapport à la société dans toutes leurs facettes.

Or, manifestement, le gouvernement prend les dossiers de façon segmentée, en se polarisant d’abord sur la question des déficits des régimes de retraite. Certes, c’est un vrai problème et tout n’est pas à rejeter dans le rapport remis par Yannick Moreau  (www.ladocumentationfrancaise.fr), mais c’est à la fois le sens général et l’opportunité de la mise en première position des retraites sur l’agenda des réformes qui interroge.

L’on ne peut pas traiter de la question des retraites sans la contextualiser. Tout d’abord, le nombre d’actifs au chômage ou en situation de sous-emploi (plus de cinq millions de personnes) pèse de façon significative sur les recettes des régimes de retraites. Ce dossier doit donc être examiné au regard de ses contingences avec la situation de l’emploi. Or le gouvernement semble vouloir mettre la priorité sur l’allongement de la durée de cotisations.  Mais cela se heurte aux réalités d’un marché du travail marqué par des difficultés d’entrée croissantes pour les jeunes, des carrières non linéaires plus ou moins impactées par des situations de précarité et des évictions croissantes des travailleurs âgés.

Certes, des mesures correctives seront sans doutes prises notamment au regard de la pénibilité du travail ou d’un octroi un peu plus généreux de points de retraites pour les périodes d’arrêt de travail (chômage, maternité…). Parallèlement l’on augmentera peut être un peu les cotisations ainsi que la Csg des retraités pour donner à l’ensemble un vernis d’équilibre ou d’équité. Mais l’essentiel résidera bien dans l’allongement de la durée de cotisation requise pour ouvrir droit à une retraite à taux plein.

Or, toute chose étant égale par ailleurs, l’allongement des durées de cotisations conduira à une diminution sensible des pensions pour une partie significative et grandissante des retraités. Avec cette mesure « phare », le message envoyé aux jeunes sera terrible car on leur dit qu’ils devront travailler plus longtemps pour toucher une pension complète (c'est-à-dire de fait bien au-delà de 62 voire de 65 ans) alors que l’on est incapable de répondre à leurs difficultés d’entrée sur la marché du travail.  Parallèlement, les travailleurs âgés seront aussi pénalisés. Même si le taux d’activité des 55-64 ans augmente, leur taux de chômage aussi. Enfin, les femmes, dont les pensions moyennes sont inférieures à 900 euros (contre 1.600 pour les hommes) seront également fortement concernées et paupérisées par ce type de mesure (www. retraites-femmes.fr).

Le déficit des régimes de retraites est de 7 milliards aujourd’hui (0.35% du PIB, 2.4% du montant total des retraites). Il est largement le fruit de la crise financière, de la faiblesse de la croissance et du sous-emploi. L’on ne peut résorber à la hussarde tous les déficits sans en mesurer les impacts. Compte tenu de la situation quantitative et qualitative de l’emploi, il conviendrait d’abord d’y apporter des réponses, fussent-elles imparfaites, avant de traiter du dossier des retraites. Le déficit actuel est supportable notamment au vu des 100 milliards d’aides aux entreprises dont les effets mériteraient d’être sérieusement évalués. De même, il faut éviter toute dramatisation. Pour 2020, le déficit serait de 20 milliards en 2020 (soit 1% du PIB 2013). Pas de quoi faire peser, de fait, l’essentiel de la réponse sur les plus fragiles des futurs retraités. Les précédentes réformes engagées depuis 1983 (Balladur) ont déjà eu des impacts significatifs sur les actifs et sur les nouveaux retraités, impacts qu’il conviendrait d’objectiver, d’analyser et de mettre en débat avant tout nouveau train de mesures.

Ces débats nous concernent tous et ce à plusieurs titres. Mais les décisions qui seront prises ne sont pas neutres au regard de l’action sociale. Une tendance à la paupérisation d’un nombre croissant de retraités, les situations de précarités comme la poursuite d’un chômage structurel des travailleurs âgés et la persistance des difficultés pour les jeunes pèsent et pèseront sur une partie des dispositifs d’action sociale en aggravant le processus de défausse des modes ordinaires d’intégration. Il y a à la fois une erreur méthodologique et une forme d’hypocrisie à traiter de vraies questions sans mettre à jour l’ensemble des impacts produits au-delà même de la thématique considérée et notamment les coûts sociaux pour les personnes et les incidences pour la société en termes de cohésion sociale et de solidarité.