Action sociale : l’émergence de catégories floues d’action publique

Traditionnellement, l’action publique a besoin de construire des catégories délimitant les usagers pouvant bénéficier de telle ou telle prestation, de tel ou tel service. Cela induit la détermination de critères d’inclusion et par la même, de critères d’exclusion.

La détermination de l’éligibilité à un dispositif peut se faire soit au travers d’une grille établie à cet effet (les groupes iso-ressource pour les personnes âgées dites « dépendantes »…),  soit par la décision d’une autorité reconnue légitime par la loi (le médecin pour être reconnu comme malade, le juge ou le président du conseil général pour une mesure de protection de l’enfance…). Notons que dans ce deuxième cas de figure,  il y a un espace d’appréciation plus large que dans le premier

Reste que ce processus de catégorisation apparaît comme rigide au regard de la réalité des problèmes sociaux et de leurs évolutions. Dès lors, l’on va voir apparaître des catégories floues d’action publique, qui contribuent à saisir des situations rétives à des définitions juridiques strictes.

C’est le cas, des personnes handicapées vieillissantes. Ces dernières, comme tout à chacun ; sont affectées par les  processus de vieillissement biologique. Mais, les barrières d’âge instaurées pour fixer le droit commun, particulièrement celle de 60 ans, ne sont pas pertinentes pour le vieillissement d’une partie significative des personnes en situation de handicap. Les dimensions personnelles du processus sont telles, que cela rend inopérante toute velléité d’un cadrage juridique d’une nouvelle catégorie et notamment la fixation d’un âge à partir du quel les personnes deviendraient « personnes handicapées vieillissantes ».

L’on retrouve cela dans le champ de l’enfance, lorsque l’on manipule la notion « d’information préoccupante » comme porte d’entrée dans des dispositifs qui concernent l’enfance en danger ou l’enfance en risque de danger. En matière de personnes âgées, la création juridique de la catégorie « dépendance »,  ne permet pas de saisir les situations intermédiaires, une sorte de zone grise où l’on parle de fragilités et qui se déploient entre les personnes de plus de soixante ans en situations de handicap et celles qui ne nécessitent pas d’accompagnement important. Dès lors, les pouvoirs publics expérimentent un ensemble d’actions destinées aux « personnes âgées en risque de perte d’autonomie (Paerpa) », catégorie dont les contours juridique restent pour le moins indéterminés, et ce malgré les tentatives de les « critériser ».

L’on pourrait également s’intéresser aux critères d’éligibilité pour la prestation de compensation du handicap, pour laquelle l’on apprécie les difficultés, importantes ou majeures selon les cas, dans l’accomplissement des actes de la vie quotidienne au regard de ce que fait ordinairement une personne du même âge que celle en situation de handicap.

Par ailleurs, même lorsque que l’on a mis des critères a priori incontestables comme les barrières d’âge, l’on repère régulièrement des tensions et des dysfonctionnements, comme pour les catégories jeunes, par exemple, classées selon les bornes de  18 ans (majorité civile), de 21 ans (jeunes majeurs) et de 25 ans pour l’éligibilité à certaines prestations (RSA…).

Plus largement, la pratique de la catégorisation rentre en tensions avec d’autres éléments de la commande publique qui se déclinent en termes de promotion de la personnalisation (projets personnalisés), de celle de parcours individuels ou de la prise en compte de l’usager dans sa singularité. Dit autrement, il y a une quasi-contradiction entre les exigences de maîtrise des dispositifs d’action sociale, qui plaident pour un renforcement des catégories et des critères stricts d’inclusion, et la demande des usagers, les évolutions des pratiques tout autant encouragées par les mêmes pouvoirs publics. Seule une approche globale mettant en perspective des exigences a priori contradictoire serait de nature à dépasser ces tensions et à clarifier tant les stratégies que les modes concrets d’accompagnement.