Risque de dilution du social dans l'humanitaire ?

L’action sociale s’est historiquement fondée sur la volonté de la société de ne laisser aucun de ses membres sur le carreau. L’action humanitaire, quant à elle, est née de la nécessité de porter secours aux peuples victimes de catastrophes.

La frontière entre ces deux zones d’action était claire : chez nous l’assistance aux pauvres et aux exclus, hors des frontières, ou en cas de malheur national, le secours à ceux que les guerres, les épidémies, les désordres économiques et politiques, les catastrophes naturelles ont plongé dans la détresse.

Mais la géographie du malheur s’est recomposée. Les victimes des conflits, des pandémies, de l’injustice économique, des bouleversements politiques, des dérèglements de la nature sont aussi, au quotidien, sur notre territoire national, aux portes de nos demeures, dans les rues de nos villes. Les distances sont affranchies, la détresse s’est déspacialisée, la tragédie humaine s’est répandue partout.

Ainsi, des organisations humanitaires comme Médecins sans frontière ou Médecins du Monde, interviennent en France auprès de publics en détresse. Cette proximité des interventions, sur les mêmes lieux et pour des publics proches brouille les délimitations entre action sociale et action humanitaire. Mais le flou provient aussi d’une confusion entre la nature des deux formes d’intervention.

L’action humanitaire est caractérisée par l’urgence liée au risque vital des publics qu’elle vise et par des interventions ponctuelles. L’action sociale est de plus en plus inscrite dans le temps court – qui confine souvent à l’urgence – pour des publics de plus en plus fragile – de plus en plus souvent menacés dans leur survie – et pour des prestations délivrées au coup par coup. Les distinctions de délais d’intervention, de publics cibles et de temporalités des interventions ne semblent plus fonctionner. Verrons-nous se dissoudre l’action sociale dans les modes d’intervention de l’humanitaire ?

Cette évolution pose un premier problème du fait du statut de l’une et de l’autre de ces deux formes d’action : l’humanitaire repose essentiellement sur la générosité de donateurs, le social sur un financement public. Les pouvoirs publics n’ont-ils pas intérêt à laisser l’action sociale se dissoudre dans l’action humanitaire ?

Cette évolution pose une seconde difficulté concernant les bénéficiaires. Le social s’adresse à des usagers titulaires de droits au titre de la solidarité nationale. L’humanitaire concerne des individus en détresse au titre des secours volontaires. Les pouvoirs publics n’ont-ils pas intérêt à assister des « secourus » ?