Les équipes de prévention spécialisée sont les abeilles de l’action sociale !
« En France, depuis une trentaine d’années, les populations d’abeilles diminuent. Ce phénomène touche d’autres pays d’Europe, l’Amérique du Nord et l’Asie. Cette surmortalité alarmante s’est accélérée depuis le milieu des années 1990, des ruchers entiers ont été dévastés en quelques années. Les causes de ce désastre ? L’usage intensif de produits phytosanitaires, qui intoxiquent les abeilles, favorisent, en diminuant les défenses immunitaires, les infections parasitaires….[1] » Or, tout le monde en convient, un monde sans abeilles ne serait plus vivable pour l’homme !
Le Conseil Général du Maine et Loire a décidé, fin 2014, que la subvention versée à l’association qui gère la prévention spécialisée sur l’agglomération d’Angers serait diminuée de moitié en 2015 (soit moins un million d’euros). Cette décision s’inscrit dans la suite de l’arrêt des financements de la prévention spécialisée du Loiret, de la diminution drastique des subventions versées aux équipes de prévention spécialisée de Seine-Maritime… La tendance semble gagner d’autres départements. L’objectif de certaines assemblées départementales serait de transférer cette charge aux communes ou aux intercommunalités. La présence sociale dans l’espace public relèverait plutôt, selon elles, d’une compétence municipale ou communautaire inscrite dans le cadre des politiques de la ville.
Dans les bouleversements à venir des répartitions de compétences – liés au projet d’une réforme territoriale brouillonne et peu lisible quant à ses finalités –, les conseils généraux auront du mal à résister à la tentation de se débarrasser de cette mission encombrante et floue visant « Dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville et dans les lieux où se manifestent des risques d'inadaptation sociale » à participer « aux actions visant à prévenir la marginalisation et à faciliter l'insertion ou la promotion sociale des jeunes et des familles, qui peuvent prendre une ou plusieurs des formes suivantes : (…) Actions dites de prévention spécialisée auprès des jeunes et des familles en difficulté ou en rupture avec leur milieu… » (Article L.121-2 du Code de l'Action Sociale et des Familles). Ces tentatives de déplacer les missions de prévention spécialisée de la protection de l’enfance vers la politique de la ville ne sont pas nouvelles mais prennent maintenant un tour plus menaçant.
Cela revient à soumettre les logiques de prévention – qui sont par nature des actions de long terme et de faible visibilité sociale – au besoin immédiat de résultats visibles pour des édiles municipaux soumis au dictat de leur réélection. Cela revient également à ôter à la protection de l’enfance des actions de prévention primaire essentielles qui lui évitent de n’agir que dans la réparation des dysfonctionnements. Cela revient enfin à vider nos espaces publics urbains de cette présence sociale gratuite, bienveillante, attentive aux signaux faibles qui caractérisent les conduites des jeunes et, surtout, qui mobilisent des accompagnements éducatifs sur la base de la motivation personnelle des jeunes des quartiers et non sur une mission venue de l’extérieur. Bref, cela revient à mettre un terme à cette forme originale de pollinisation de la vie sociale qui développe sa biodiversité et, ce faisant, qui enrichit les pratiques coopératives d’action sociale et les interventions sociales d’intérêt collectif.
Oui ! La prévention spécialisée est à l’action sociale française ce que sont les abeilles à la fécondation et à la fertilisation notre écosystème végétal ! En cherchant à s’affranchir de cette mission, pour des raisons budgétaires de court terme, les Conseil généraux prennent une lourde responsabilité. Ils inaugurent un processus qui nous mène à la fin d’une conception essentielle de l’action sociale : les actions de prévention actives. Les maigres subsides qui survivront à ces coupes sombres dans les financements de l’action sociale ne serviront plus qu’à des actions réparatrices, à raccommoder les accrocs de plus en plus nombreux qu’une économie, dite en crise, provoque dans le tissu social.
Sans abeilles, l’homme n’a pas d’avenir. Sans la prévention spécialisée, quel sera l’avenir ?