Le juge, la ministre et la jeune handicapée
Cela aurait pu être une fable. Ce fut, au mieux, une farce tragique. Rappelons brièvement les faits. Les parents d’Amélie attaquent l’Etat au motif que leur fille, en situation de handicap, ne trouve pas de place dans un établissement spécialisé. Le 7 octobre, le tribunal administratif ordonne au directeur de l’ARS « de prendre toute disposition pour qu’une offre de soins permettant la prise en charge effective dans un délai de 15 jours d’Amélie par un établissement médico-social adapté à son état soit présentée à ses parents », sous peine d’une astreinte de 200 euros par jour.
La posture de l’Etat dans cette affaire est apparue comme, pour le moins, problématique. Dans un premier temps, l’ARS explique qu’il n’est pas de ses compétences d’imposer une admission individuelle à un établissement. Juridiquement imparable, l’argument laisse néanmoins perplexe. L’Etat dispose d’une compétence en matière de planification notamment et il a une responsabilité quant aux moyens nécessaires, en établissement ou à domicile, pour répondre aux besoins. En outre, il conviendrait de s’interroger sur l’impact des contraintes normatives et budgétaires qui pèsent sur les structures et qui peuvent conduire aussi à une sélection des publics accueillis. Certes cela ne veut pas dire que tous les ESSMS soient vertueux par essence, mais l’on ne peut pas évacuer pour autant les responsabilités de l’Etat et/ou des départements.
Le deuxième acte fut l’appel contre le jugement introduit par l’Etat. Ce type de décision ne se prend pas dans un obscur bureau. Certes, le rétropédalage fut rapide au vu de l’indignation soulevée par cette décision. Mais le fait qu’elle fut prise témoigne de la prégnance d’approches très administratives des problèmes et une déconnection de la décision au regard des réalités.
Le troisième acte, le retrait en catastrophe de l’appel, est tout aussi significatif par ses attendus. Anne Marie Carlotti, ministre déléguée a ainsi déclaré « cette histoire me touche, ce n’est pas l’Etat qui parle, c’est la ministre, l’être humain » (Libération du 28 octobre 2013). Chacun jugera ! Aucune leçon globale n’est tirée de cette histoire. La seule piste ouverte est de mettre en place des procédures visant à trouver des solutions rapides et urgentes aux situations les plus complexes et sans doute d’éviter un trop grand nombre de recours. De relecture critique des politiques menées, il n’en est pas question.
Ce n’est pas la première fois que des usagers font appel à la justice pour se sortir de situations difficiles voire inextricables. Dans le même numéro de Libération (28 octobre 2013) un article rend compte de la situation d’Elias, jeune handicapé « atypique » (15 ans, 1m95, 140 KG, 49 de pointure !), autiste, pour lequel aucune place ne paraît disponible. La CDAPH (commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées) s’est contentée d’accompagner sa décision d’orientation vers un établissement d’une liste des structures existantes. L’article rapporte que lors d’une rencontre entre les parents, l’ARS et une vingtaine de directeurs d’établissement, l’on conseille aux parents de se tourner vers la Belgique !
Ces démarches juridiques et médiatiques témoignent à la fois du désarroi des usagers et de leurs familles et des lacunes en matière d’offre et, au-delà, de politique publique. La présidente de l’UNAPEI, Christel Prado, très en pointe sur le dossier d’Amélie, souligne de façon très pertinente que les faiblesses de l’observation sociale permettent à l’Etat de faire l’impasse sur la réalité des besoins et donc de minimiser ses propres responsabilités. La réponse au coup par coup, au gré des décisions de justices et/ou de la médiatisation ne suffira pas.
Les situations d’Amélie ou d’Elias doivent alerter. Il est temps d’opérer une relecture des politiques publiques relatives aux enfants et adultes handicapés, de ne pas se contenter de mesures palliatives même si elles sont nécessaires.