La prévention spécialisée a-t-elle un avenir ?

C’est le thème des journées organisées les 29 et 30 novembre 2016 par la Conférence Nationale des Associations de Protection de l’Enfance (CNAPE). Ce temps fort fait suite aux journées nationales du Comité de Liaison des Acteurs de la Prévention Spécialisée (CNLAPS) qui se sont tenues à Créteil en avril dernier sur le thème « De l’utilité sociale de nos pratiques : Pour de nouvelles alliances éducatives de territoire ». Ces journées interviennent à un moment crucial :

La prévention spécialisée est en danger ? Les départements, coincés dans des contraintes budgétaires non anticipées et dont le choix politique le plus fréquent se résume à réduire les budgets, mettent à mal nombre d’équipes les obligeant à réduire leurs périmètres et les ambitions de leur présence sociale dans les quartiers.

La prévention spécialisée est en mutation ? La réforme des territoires (loi NOTRE) provoque le transfert de plus de la moitié des services de prévention spécialisée vers les nouvelles métropoles, laissant ouvertes toutes les questions sur les effets de ce rapprochement avec les politiques de la ville, voire les dispositifs de sécurité urbaine.

La prévention spécialisée est légitimée ? Dans le contexte de radicalisation de certains jeunes « des quartiers », les ministères (affaires sociales, jeunesse et sport) renforcent par des actes concrets la reconnaissance de cette pratique éducative « hors norme » dans sa capacité à prévenir les désaffiliations sociales de certains publics.

La prévention spécialisée est menacée ? Le projet de loi égalité et citoyenneté (adopté courant juillet en première lecture à l’Assemblée Nationale) prévoit un nouvel article du Code de l'action sociale et des familles reconnaissant la médiation sociale. Les médiateurs de rue, longtemps perçus comme une déqualification de la présence sociale dans l’espace urbain assurée par des éducateurs, trouvent là une légitimité qui pourrait, peut-être, recomposer fortement la place et le rôle de la prévention spécialisée.

La prévention spécialisée se trouve ainsi en plein paradoxe. Localement, des départements et des villes exposent des adolescents en difficultés à ne plus être rejoints par aucun dispositif éducatif ; Structurellement, la plupart des services changent de donneur d’ordre et doivent recomposer de nouvelles alliances avec les pouvoirs publics ; Nationalement, la prévention spécialisée est appelée à le rescousse d’une société qui peine à être réellement inclusive ; Stratégiquement, les équipes doivent reconsidérer leur manière d’articuler leurs pratiques avec d’autres acteurs de l’espace public urbain.

Dans ce contexte inédit, il n’est plus question de défendre la prévention spécialisée, c’est trop tard et cette défense s’est trop souvent développée sur un registre corporatiste. Il s’agit de réaffirmer la prévention spécialisée comme une pratique indispensable aux équilibres territoriaux, originale dans sa manière « d’aller vers » les publics jeunes les plus éloignés des lieux de socialisation, essentielle pour témoigner de la sollicitude d’une société prenant en compte toutes ses composantes humaines.