La fin de l’opposabilité des conventions collectives
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 pose, en son article 50, la fin de l’opposabilité des conventions collectives dans la tarification des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESMS) ainsi que l’obligation d’agrément des accords d’entreprise signés par un ESMS ou un employeur. Les syndicats employeurs privés non lucratifs se sont insurgés : « Sans concertation avec les acteurs du secteur, une telle décision peut fragiliser l'exercice des missions des associations au service des personnes accueillies et accompagnées. » Les syndicats salariés, quant à eux, dénoncent la casse des garanties collectives dues à des salariés particulièrement exposés à des situations de travail difficiles, voire pénibles. D’autres épinglent la contradiction entre cette mesure gouvernementale unilatérale et les toutes récentes ordonnances réformant le Code du Travail qui valorisent la négociation de branche et les accords d’entreprise. En effet, si ces mesures ne sont plus opposables aux financeurs, à quoi sert-il encore de négocier puisque ces derniers peuvent imposer, seuls, les encadrements budgétaires qui contiennent, à plus de 70%, la rémunération des salariés.
Cette mesure n’est pas totalement nouvelle puisque la loi de financement de la sécurité sociale de 2009 avait déjà supprimé le mécanisme d'opposabilité budgétaire des accords applicables dans les établissements pour personnes âgées ayant conclu une convention tripartite ou un CPOM. Certes, on peut constater que cela n’a pas provoqué une surenchère à la baisse des salaires. On peut même penser que l’autonomie des employeurs associatifs se fonde peut-être sur le risque d’assumer directement et totalement le dialogue social, sans tutelle de l’État sur les résultats obtenus.
C’est plutôt au niveau de la signification ressentie par les salariés devant cette décision qu’il faut s’interroger : l’insécurité.
L’argument de défense présenté lors du projet de loi était officiellement d’améliorer la prise en charge des plus fragiles. Il n’est pas certain que la fragilisation des conditions salariales de ceux qui prennent précisément soin des plus fragiles soit un bon moyen de sécuriser leur prise en charge. Il existe un lien fort entre le bien être des salariés et la bientraitance des usagers. L’ignorer est une hérésie. De plus, précariser les professionnels qui interviennent auprès des précaires ne risque-t-il pas d’ajouter de la fragilité à la fragilité ?
Le retrait de l’opposabilité pose une autre question : dans un jeu de plus en plus concurrentiel entre employeurs à but lucratif et employeurs associatifs, l’absence de référence à des conventions collectives ouvre la porte à un dumping social que les marchands de prestations sociales – dont le but est de générer des bénéfices – n’hésitent pas à activer en sous-payant leurs salariés. L’absence de prise en compte des dispositions conventionnelles expose le secteur associatif à un discount du social qui menace la qualité du travail. De plus, le risque de voir baisser le niveau de compétence des professionnels comme variable d’ajustement budgétaire comporte en soi les éléments d’une dégradation des réponses apportées aux personnes les plus en difficultés dans la société.
Une manière de sortir de cette double impasse serait d’imposer une convention unique de branche étendue. D’une part, une telle mesure sécuriserait les salariés par l’établissement d’un cadre commun. D’autre part, une convention unique s’imposant à tous les opérateurs du champ social et médico-social, quel que soit leur statut juridique, lève définitivement le risque d’une casse des prestations sur le dos des salariés.