Jeunes incasables : Et s’ils nous disaient quelque chose d’utile sur nos incompétences ?
« Incasables » Cette expression est insupportable ! Dans le secteur de la protection de l’enfance, elle désigne ces jeunes qui épuisent, jour après jour, échec après échec, tous les établissements et services intervenant dans le dispositif de l’Aide Sociale à l’Enfance. Ces jeunes symbolisent le syndrome de la « patate chaude ». Cet objet incandescent que les acteurs se refilent de main en main, se brûlant à chaque fois un peu plus.
« Incasables » cela signifie qu’ils n’ont pas de place. Jeunes placés/déplacés/replacés, ils échouent finalement hors de toute place, hors-jeu, hors lieu. Dans le meilleur des cas, ils retournent dans leur famille – car l’incapacité du dispositif de protection de l’enfance à les protéger amène les acteurs à se résoudre à ne plus les protéger et donc à les re-placer au lieu même où ils sont exposés à un danger. Dans le pire des cas, leur errance se prolonge de non-lieu en non-lieu (séjours de rupture, hospitalisations, accueils d’urgence, etc.), course insensée – c’est-à-dire vide de sens –, folle – c’est-à-dire qui fait perdre la raison tant à ceux qui la vivent qu’à ceux qui les accompagnent – et absurde – c’est-à-dire qui délégitime l’édifice légal du système.
« Incasable » exprime, en fait, que ces jeunes sont fautifs de ne pas trouver de place dans le dispositif qui leur est pourtant destiné. Ils sont coupables de présenter des problématiques multiples, lourdes et complexes, insolubles. Ils ont le tort d’ajouter à la situation de danger à laquelle les expose leur situation sociale et familiale des troubles comportementaux qui rendent problématique leur accueil dans des structures collectives. Ils cumulent le désavantage d’être en souffrance et de présenter des troubles psychiques qui rendent impossible leur inscription dans un processus éducatif classique.
« Incasables » ne traduit-il pas, au fond, l’échec d’un dispositif ? Si ce n’étaient pas les difficultés de ces jeunes aux problématiques complexes qui créent la situation « d’incasabilité » mais les limites mêmes des solutions institutionnelles qui leur sont offertes – ou plutôt refusées ?
Accepter cette entrée dans l’analyse de la situation ouvre une piste de travail très différente. Finalement, il n’est pas certain que ces jeunes soient intraitables ou définitivement rétifs à toute prise en charge. Ils peuvent être vus comme les symptômes d’un dysfonctionnement des organisations. C’est alors vers les structures de la protection de l’enfance, de la psychiatrie infanto-juvénile, de l’Education Nationale, etc., que doit se porter l’analyse critique. Quelle capacité ont ces institutions à combiner leurs approches pour développer des coopérations solidaires leur permettant, collectivement, de traiter ces situations complexes ? Quelle dynamique de réponse aux besoins réels les anime qui leur permettrait de quitter leurs réflexes de protection ? Quelle vision clinique partagée développerait un réflexe de continuité de l’offre d’accompagnement, en relais cohérent entre des partenaires multiples, en lieu et place de la logique de rejet des problèmes chez le voisin ?
Les jeunes « incasables » sont peut-être indispensables à une refondation des dispositifs de protection de l’enfance parce qu’ils en révèlent les limites, parce qu’ils catalysent les dysfonctionnements. Ils sont un analyseur puissant. Pour qu’ils jouent ce rôle, salutaire, il est urgent de les nommer autrement.