Compte-rendu L’action sociale en question

En faisant retour sur les interventions de Jean-Louis Laville en début de la journée, il me parait important de souligner deux ou trois points :

 

Tout d’abord deux des thèmes qu’il a abordés sont à relier :

  • celui de la difficulté à imaginer en France des modes de protection qui soient aussi des modes d’émancipation : le risque restant toujours bien présent d’une régression du côté de l’autoritarisme…
  • celui de l’insuffisante prise en compte des dynamiques collectives et territoriales…

 

En fait les modalités mêmes de l’intervention sociale, les cadres de l’action dans lesquelles elle se coule, avec les formes très prégnantes de l’autorité judiciaire (très marquée en protection de l’enfance) ou médicale (dans le champ sanitaire ou médico-social), contribuent à cette double conséquence d’une faiblesse des logiques tant émancipatrices que collectives. La dimension individuelle prédomine tout comme le contrôle bureaucratique qui continue à s’exercer fortement sur les acteurs. Le relais par l’ingénierie gestionnaire des nouveaux cadres de l’action publique n’a rien changé à cette donne autoritaire plus qu’émancipatrice à l’égard de l’ensemble des acteurs du social…

 

Par rapport d’ailleurs à un certain dépit, ou relatif pessimisme, voire défaitisme, exprimés par Jean-Michel Bélorgey tout au long de son intervention, après la longue expérience qui a été la sienne dans les hautes sphères de l’administration, il faut souligner les fenêtres et les bouffées d’air frais que les ouvertures de Jean-Louis Laville permettaient de maintenir : que ce soit en référence aux expériences latino-américaines, par exemple, ou encore à la longue durée de l’histoire de l’associationnisme en France …

 

Un autre point souligné par Jean-Louis Laville touche à la nécessité d’affirmer la dimension publique et politique de l’association par rapport à la tentation très forte aujourd’hui de réduction gestionnaire. Or, un point qu’il souligne par ailleurs n’a pas évoqué au cours de la journée : le fait que le secteur associatif dans son ensemble a loupé la phase de co-construction nécessairement conflictuelle avec le système administratif. Globalement les associations se sont mises à la remorque, ces dix dernières années, des nouvelles régulations publiques plutôt que de faire valoir leur spécificité et leur différence, ce qui nécessitait justement d’entrer dans une phase de conflictualisation qui s’est trouvée totalement gommée par la nécessaire course à l’adaptation des outils.

 

Sur le point de rechercher une moindre dépendance à l’argent public, avec un élargissement de la conception de l’économie, il faudrait ajouter aux registres de l’entraide entre usagers soulignés par Jean-Louis Laville et absolument pas suffisamment valorisés :

  • ceux du développement de la ressource bénévole que retardent tant les freins mis en œuvre par l’instrumentalisation publique que ceux développés par la résistance des cultures professionnelles
  • et celui de l’hybridation des cultures associatives entre elles : caritatives, humanitaires, professionnelles… Bien des clivages idéologiques sont à cet égard à dépasser pour permettre une vraie mobilisation de la ressource solidaire du mouvement associatif.

 

Un point important souligné dans le débat entre Jean-Louis Laville et Jean-Michel Bélorgey touche à ce que ce dernier a appelé la grande difficulté d’une « incarnation » de la pédagogie publique : un déficit des cadres d’action pour agir… Les idéaux sont posés, les textes les reprennent, les discours, les législations se multiplient à l’envie… Mais la transformation est rarement au rendez-vous, faute de méthodologie prenant en compte l’identité et la culture des acteurs. Comment passe-t-on de l’idéal unitaire et égalitaire républicain à une véritable et concrète pédagogie du changement et de la transformation ?

Manque la matrice culturelle pour conduire une action publique renouvelée, mobilisant les acteurs dans des dispositifs collectifs permettant l’appropriation des visées et leur « incarnation » par des méthodes et des formations ad hoc. A cet égard, vouloir refonder le travail social doit aussi trouver son chemin. L’exemple du Comité Régional du Travail Social de Bretagne (CRTS) pourrait constituer un exemple d’une telle méthode visant sur les territoires à mobiliser l’intelligence, collective et conjointe, des acteurs, tant associatifs que publics…

 

Enfin un point majeur soulevé tout au long de la matinée touche à l’inscription de l’usager au cœur de la solidarité. Mériterait notamment que soit posée la question de leur rôle dans les associations : celles-ci n’ont-elles pas à se démocratiser davantage à leur égard : capacité d’adhésion ? Vote ? Constitution de représentation légitime… Seule une telle évolution statutaire des associations, transformées en véritables « sociétés de personnes »[1] pourrait dépasser l’obstacle quasi rédhibitoire d’usagers ne relevant sinon que de la seule expertise professionnelle et de la prescription publique, et par rapport auxquels les bénévoles des associations n’ont guère de légitimité à revendiquer quelque rôle que ce soit… sauf à s’en remettre à la seule stratégie du développement du bénévolat avec toute la limite de l’approche philanthropique qu’elle suppose. « L’Ecologie de la participation des acteurs faibles » : sans doute la thématique abordée au cours de la journée qui exige de tous les acteurs du social le plus de renouvellement et de créativité par rapport aux formes instituées  relativement statiques des interventions et des organisations… !

 

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[1] Cf l’ouvrage co-écrit par Roland Janvier, Michel Jézéquel, Jean Lavoué « Transformer l’action sociale avec les associations », DDB, 2013.