« Il faut saisir le juge des enfants parce que la famille n’adhère pas à l’action conduite en faveur de leur enfant ! » Combien de fois cette position est-elle défendue dans les réunions de synthèse ? Combien d’assistantes sociales, intervenant sur les « Informations Préoccupantes » en protection de l’enfance, ont elles procédé à cette analyse ?
Cette logique a été impulsée par la loi de 2007 portant réforme de la protection de l’enfance. Le législateur a introduit une distinction procédurale qui oriente la protection de l’enfant soit sur le versant administratif (intervention des services du département) soit sur celui de l’assistance éducative (juge des enfants via le parquet des mineurs) selon que la famille accepte ou non de contractualiser un projet pour l’enfant. Cette distinction est éclairante. Elle réserve l’intervention autoritaire du juge aux situations où les parents ne sont pas mobilisables dans l’intérêt de l’enfant, mettant un terme aux pratiques antérieures qui graduaient autrement la notion de danger. En effet, les pratiques courantes réservaient les situations de risque à l’Aide Sociale à l’Enfance et judiciarisaient les cas de danger avérés. Ce qui est devenu déterminant depuis 2007, ce n’est plus le danger en lui-même, ou son intensité, mais les conditions d’y porter remède et le cadre, administratif ou juridique, qui semble le plus approprié pour y parvenir.
Mais cette logique a introduit une autre dimension, plus sournoise, que nous pouvons constater au détour du travail quotidien des professionnels intervenant en protection de l’enfance et des équipes territoriales d’intervention sociale.
Que signifie l’expression « adhésion de la famille » ?
Adhérer est un acte qui va au-delà de l’accord. Quotidiennement, chacun de nous manifeste son accord pour des actes commis ou subits sans pour autant y adhérer. Pour prendre un exemple, c’est le cas des limitations de vitesse imposées par le Code de la route : nous les respectons mais ce serait beaucoup nous demander d’y adhérer ! De même, l’enfant qui accepte d’aller se coucher parce que c’est l’heure n’adhère pas à l’idée mais il l’accepte cependant pour des motifs qui ne relèvent pas de son adhésion. Ce serait une autre affaire que d’exiger de moi une adhésion à certains faits auxquels je donne mon accord. J’accepte de faire ma déclaration et de m’acquitter de l’impôt mais si, en plus, l’Etat me demande d’y adhérer, c’est autre chose. Si je devais produire une attestation souscrivant au montant prélevé sur mes ressources, adhérant à l’utilisation qui sera faite de cette somme, je pense que je rechignerais à me soumettre à cette dictature…
Accepter n’est pas synonyme d’adhérer. Il existe une graduation entre ces deux termes et, prendre l’un pour l’autre, surtout en protection de l’enfance, serait une erreur. D’ailleurs, le Code de l’action sociale et des familles a l’intelligence de parler non d’adhésion mais de consentement. La nuance sémantique pèse ici tout son poids de significations.
Adhésion, consentement, collaboration : que disent les textes ?
L’article L 311-3 du Code de l’action sociale et des familles déclare que : « L’exercice des droits et libertés individuels est garanti à toute personne prise en charge par des établissements et services sociaux et médico-sociaux. Dans le respect des dispositions législatives et réglementaires en vigueur, lui sont assurés : (…) 3° Une prise en charge et un accompagnement individualisé de qualité favorisant son développement, son autonomie et son insertion, adaptés à son âge et à ses besoins, respectant son consentement éclairé qui doit systématiquement être recherché… » (souligné par nous). En dehors des adhésions à une fédération ou une association, seuls les articles de ce code relatifs à la protection des majeurs (articles D 471-8 et D 474-5) évoquent l’adhésion de la personne protégée au document individuel de protection des majeurs. D’autre part, l’adhésion de la famille est mentionnée dans le référentiel fixant les critères de l’agrément des assistants familiaux par le Président du Conseil général, mais nous sommes là dans un cadre très différent puisqu’il ne s’agit pas de l’adhésion d’un usager.
En matière d’assistance éducative l’article 375-1 du Code civil, indique que le juge des enfants « doit toujours s’efforcer de recueillir l’adhésion de la famille à la mesure envisagée et se prononcer en stricte considération de l’intérêt de l’enfant. » L’adhésion des parents – qui doit être recherchée et ne constitue pas une condition préalable – est mise en rapport avec la suprématie de l’intérêt de l’enfant.
L’article 375-9-1 qui traite de la mesure d’aide à la gestion du budget familial précise quant à lui que les décisions du délégué doivent s’efforcer de recueillir l’adhésion des bénéficiaires. Le Code civil est ici en symétrie avec le Code de l’action sociale et des familles en ce qui concerne l’adhésion du majeur protégé.
Mais la loi réformant la protection de l’enfance (2007) apporte des précisions. L’évaluation d’une information préoccupante peut révéler, selon les cas, soit l’absence de danger ou de risque de danger soit « une certaine fragilité de la famille, et donc des risques pour l’enfant, qui peut justifier, la proposition de la mise en place ou le maintien d’un accompagnement et d’un soutien dans le cadre de la prévention socio-éducative, médico-sociale ou sanitaire (….), ou de la protection administrative. » Le procureur de la République est par contre saisi quand est identifiée une situation de danger au sens de l’article 375 du Code civil et que le mineur a déjà fait l’objet, sans résultat, d’une des mesures prévues au Code de l’action sociale et des familles au titre de l’Aide sociale à l’enfance. Le texte précise « 2°- Que, bien que n’ayant fait l’objet d’aucune des actions mentionnées au 1°, celles-ci ne peuvent être mises en place en raison du refus de la famille d’accepter l’intervention du service de l’aide sociale à l’enfance ou de l’impossibilité dans laquelle elle se trouve de collaborer avec ce service. » L’article L. 226-4 du Code de l’action sociale et des familles hiérarchise ainsi clairement l’ordre des actions : la ligne de démarcation entre mesures administratives et judiciaires résulte de la combinaison entre le niveau des difficultés rencontrées par la famille et la possibilité de mobiliser les parents dans le plan d’action. La distinction ne porte pas sur l’adhésion ou la non-adhésion des parents mais sur le refus ou l’impossibilité de « collaborer ».
Plus précisément, en matière de protection de l’enfance, des guides pratiques ont été publiés suite à la loi du 5 mars 2007 afin de clarifier l’intention du législateur. Le guide « L’accueil de l’enfant et de l’adolescent protégé » évoque l’adhésion du jeune majeur comme condition de la prise en charge sur la base d’un projet personnel et professionnel. Par ailleurs, concernant l’organisation des droits d’hébergement, en cas de placement au titre de l’assistance éducative, le guide précise (référence à l’article 375-7 alinéa 5 du code civil) que le juge peut décider que les modalités soient déterminées conjointement entre les parents et le service auquel est confié le mineur : « Cette possibilité s’inscrit dans l’esprit de la réforme qui vise à rechercher, autant que possible, l’adhésion des parents, et à établir une relation concertée avec eux, dans le respect de leurs droits et de ceux de l’enfant. » Là, le terme d’adhésion – en écho à l’article 375-1 précité – est subordonné « autant que possible » au principe d’une « relation concertée » entre les intervenants et les parents.
Le guide « Intervenir à domicile pour la protection de l’enfant » apporte une précision intéressante : « Les interventions ont toujours une visée éducative pour l’enfant et l’accompagnement de son environnement familial. Elles s’inscrivent dans une relation d’aide en recherchant l’adhésion de la famille, même lorsque celle-ci n’adhère pas d’emblée aux actions proposées ou à la mesure mise en place. » Rechercher l’adhésion est une visée qui doit intégrer le fait que la famille n’adhère pas a priori aux mesures engagées. L’adhésion dont il s’agit ici résulte d’un processus plus que d’un préalable.
Le guide « La cellule départementale de recueil de traitement et d’évaluation » précise la méthodologie d’évaluation à partir du recueil d’une information préoccupante concernant un mineur. Il s’agit d’une démarche rigoureuse qui doit permettre d’apprécier « la réalité, la nature et le degré du risque ou du danger encouru par l’enfant ; le niveau de prise de conscience des parents concernant les difficultés rencontrées par leurs enfants ; les ressources propres de la famille ; le niveau d’adhésion des parents à un projet d’aide. » Le guide précise : « Pour bien identifier et qualifier les difficultés rencontrées, le professionnel a tout intérêt à s’appuyer sur une démarche à laquelle il associe, autant que possible, les membres de la famille. Leur participation active vise à instaurer une dynamique de réflexion et de compréhension, à les associer en amont à la résolution des difficultés, à faciliter par la suite l’élaboration d’une demande d’aide et l’adhésion aux éventuelles aides qui seront proposées. » Là encore, l’adhésion des parents est un élément de l’évaluation de la situation de l’enfant, puis un objectif à atteindre à travers l’aide apportée, pas un préalable qui orienterait ensuite le plan d’action.
La non-adhésion, n’est donc pas la condition d’une judiciarisation
Les critères de l’article L 226-4 cité plus haut sont repris dans le guide « La cellule départementale de recueil de traitement et d’évaluation » : « Ces critères déterminent l’articulation entre protection administrative et protection judiciaire. Il ressort que la protection administrative doit être mise en œuvre, sous réserve de l’accord des parents, y compris lorsque le mineur est en danger au sens de l’article 375 du code civil. La mise à l’abri provisoire du mineur, lorsqu’elle est nécessaire et lorsqu’elle est possible, doit être envisagée prioritairement dans le cadre de la protection administrative. » En somme, depuis la loi 2007-293, priorité est donnée à la protection administrative. Le ministère public ne doit être saisi qu’en cas d’échec des mesures administratives, d’impossibilité d’évaluer ou « si la famille, et tout particulièrement les parents refusent manifestement toute intervention, ou s’ils ne sont pas en capacité de donner leur accord. » La graduation du choix entre protection administrative et protection judiciaire doit donc reposer sur les notions précises « d’accord » ou de « refus » des parents.
Il est donc abusif de voir des équipes de protection de l’enfance, parfois même des cellules de recueil des informations préoccupantes, organiser les mesures à prendre – dont l’éventuelle saisine du parquet – selon le critère de la plus ou moins forte adhésion de la famille. Seul un refus caractérisé – et qui doit être prouvé auprès du procureur – justifie le recours au judiciaire.
L’adhésion implique soumission et domination
Requérir l’adhésion des parents, revient à réintroduire un rapport de domination entre intervenants sociaux et familles. Non seulement la société vient signifier aux parents l’inadéquation de certains de leurs comportements éducatifs, mais en plus, il faudrait qu’ils adhèrent aux critiques qui leur sont faites. C’est-à-dire qu’ils se soumettent, en l’intégrant voire en se l’appropriant, à un discours normatif qui les disqualifie. En l’occurrence, adhérer, c’est se soumettre à un ordre imposé d’ailleurs, de l’extérieur de la famille, sur le fondement d’autres valeurs.
Là où l’accord, le consentement, ou la collaboration, entraînent une mise en tension des positions parentales avec des valeurs sociétales définissant quelques grands principes éducatifs, l’adhésion abroge toute distance à l’égard d’un ordre social qui s’impose jusqu’aux moindres détails des comportements usuels. Michel Foucault parlerait de bio-pouvoir dans une société disciplinaire…
L’accord ouvre un espace pour le projet
S’affranchir de ce mythe de l’adhésion des parents – mythe qui sert peut-être à traiter la culpabilité des intervenants sociaux quant à leur irruption dans les intimités familiales – c’est une façon de se distancer d’une vision uniforme et monolithique de ce que serait la « bonne » éducation.
Fonder le travail avec les familles sur la notion, plus souple et plus ouverte, d’accord ou de consentement, ouvre un espace de débat quant aux meilleures manières de faire pour éduquer un enfant. Les principes de sécurité sont posés dans la loi, non sous forme de ce qu’il faut faire mais de ce qui est interdit, en référence à la Convention internationale des droits de l’enfant. L’article 375 du Code civil, reste, quant à lui, à la périphérie de définitions trop étroites : « Si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises, des mesures d’assistance éducative peuvent être ordonnées… » Il ne dit pas ce que sont les conditions exactes qui doivent être garanties à l’enfant. Un interstice est ainsi ouvert qui ne clos pas le nécessaire débat éducatif. Il n’existe pas de bonne manière de faire mais des conditions physiques, affectives, intellectuelles et sociales qui favorisent, ou empêchent, la santé, la sécurité et la moralité d’un mineur.
C’est pour laisser le jeu ouvert – c’est-à-dire permettre aux professionnels de la protection de l’enfance de travailler dans l’intérêt de l’enfant – qu’il ne faut pas s’enfermer dans cette dimension perverse de l’adhésion des parents. Contraindre la famille par les projections des professionnels sur la collaboration attendue empêche la co-construction. Co-construire un projet commun pour l’enfant, ce n’est pas imposer aux uns d’adhérer aux vues de l’autre. C’est au contraire se mettre d’accord sur ce qu’il conviendrait de faire en respectant les positions respectives des parties prenantes, en respectant les différences. Se mettre d’accord, ce n’est jamais adhérer mais se différencier.
Roland Janvier
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