Pourquoi faire aujourd’hui une 4e édition de votre livre ?
L’optique des deux dernières éditions était d’orienter les professionnels vers la mise en œuvre du droit des usagers. En 2011, la problématique s’est décalée : les droits sont à peu près rentrés dans les mœurs institutionnelles. Il s’agit aujourd’hui de mieux comprendre les enjeux, ce qui ce joue dans la participation. D’où le changement du titre : « Mettre en œuvre le droit des usagers » devient « Comprendre la participation des usagers ». L’ouvrage se veut plus réflexif, plus politique. En sachant qu’un guide pratique, en cours de rédaction avec Yves Matho, doit paraître dans la foulée.
Que constatez-vous concernant la mise en œuvre de la participation ?
Elle reste une question problématique pour les professionnels. Il y a encore des interrogations sur son bien-fondé, des amalgames dans l’esprit de certains. Parce qu’elle interroge leur posture, les professionnels se sentent menacés. D’autant que cela se passe dans un climat d’inquiétudes, de contraintes, notamment budgétaires.
Vous appelez à un changement radical du rapport usager – professionnel. Pourriez-vous le définir ?
Il y a un mot que j’affectionne, celui de co-construction. C’est la logique contractuelle de la loi. Le professionnel n’est plus dans la position d’un expert qui décide à la place d’un bénéficiaire. Deux personnes sont côte à côte et non plus face à face : le professionnel qui a des compétences spécifiques, l’usager qui a ses compétences propres, irremplaçables. Ces deux personnes ne peuvent pas être à l’unisson mais de leur rencontre, du débat entre leurs deux perceptions naitra un projet commun. Mais pour cela, il faudrait que le professionnel soit sécurisé dans sa posture. Les recommandations de bonnes pratiques et autres démarches d’évaluation, ne doivent pas se transformer en normes strictes, au détriment de la relation et du temps nécessaire à ce compagnonnage. L’émergence du thème de la performance est en cela dangereuse.
Vous dénoncez une instrumentalisation possible du discours sur les droits des usagers, une vision consumériste de l’action sociale. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Bien sûr, il y a un risque de manipulation. On est sur un terrain glissant et un équilibre est à trouver. On ne peut pas transférer la responsabilité de l’intervention sur l’usager, tout miser sur sa responsabilité individuelle. Or la tentation est grande, notamment quand l’usager fait partie de la catégorie des ‘’fautifs’’ entre guillemets (mineurs délinquants, bénéficiaires du RSA, demandeurs d’asile…). L’autre risque de dérapage, c’est de considérer l’usager comme un client, un consommateur de prestations médico-sociales. Il y a certes des points communs entre la problématique du droit des usagers et celles des droits du consommateur. Mais la relation entre intervenant et usager doit être une relation bienveillante, solidaire. L’usager n’est pas une personne réduite à ses intérêts individuels mais un citoyen, avec toute la dimension collective que cela sous-entend. En ce sens, avec Yves Matho, nous défendons les Conseils de la Vie Sociale (CVS) dans les établissements comme lieux d’émergence et d’expression d’une conscience collective, entre pairs. Parmi les CVS, il y a ceux qui ne marchent pas, parce qu’ils s’en tiennent à la stricte application de la loi ou se vident de leur substance quand ils ne servent à rien. Ceux qui marchent au contraire s’inscrivent dans une vie démocratique de l’institution, une dynamique participative qui suppose d’autres lieux, d’autres supports.
En ce sens, pour nous, l’établissement médico-social peut être un laboratoire du vivre ensemble autrement, un support de socialisation, un lieu où on fait l’expérience ensemble de quelque chose de possible à l’échelle de la société. Les instances démocratiques au sein de l’établissement sont, en cela, des tremplins pour une citoyenneté active. Reprendre prise sur sa vie est une expérience personnelle et sociale déterminante. Il y a une continuité naturelle entre le fait de participer dans cette micro-société qu’est l’établissement et porter une parole au niveau de la Cité.
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[…] Roland Janvier nous parle lui aussi de la co-construction. Il en est un fervent promoteur : « Le professionnel n’est plus dans la position d’un expert qui décide à la place d’un bénéficiaire. Deux personnes sont côte à côte et non plus face à face : le professionnel qui a des compétences spécifiques, l’usager qui a ses compétences propres, irremplaçables. Ces deux personnes ne peuvent pas être à l’unisson mais de leur rencontre, du débat entre leurs deux perceptions naitra un projet commun. Mais pour cela, il faudrait que le professionnel soit sécurisé dans sa posture ». […]