Les organisations du travail social sont impactées par des mutations essentielles qui relèvent autant de faits sociétaux que de bouleversements des conceptions et des cadres de l’intervention sociale.

Pour les analyser, je vous propose d’étudier successivement quelques divergences (des contradictions qui impactent les organisations), quelques convergences (des tendances lourdes qui menacent les organisations) et quelques émergences (des opportunités pour repenser les organisations).

Des divergences

Les pratiques professionnelles, développées au sein des organisations d’action sociale sont placées au cœur de fortes tensions. La montée en puissance de revendications individuelles n’éradique pas l’exigence d’une prise en compte collective des problèmes. De même, l’injonction d’apporter des réponses singulières aux demandes se heurte à une standardisation des conduites, via toute une série de référentiels, de recommandations de bonnes pratiques ou d’édiction de critères de performance. La toile de fond de ces paradoxes, tendant parfois à les recouvrir, est un « effet ciseaux » : les moyens alloués sont de plus en plus tendus, sinon restreints, alors que les demandes ne cessent de croître du fait d’un niveau d’exigence toujours plus élevé en ce qui concerne les réponses et d’un seuil de tolérance de plus en plus faible face aux problèmes sociaux.

  • Individuel et collectif

L’individu serait devenu sa propre norme, c’est-à-dire que les organisateurs méta-individuels s’affaiblissent au profit d’une valorisation sans limite de l’autonomie individuelle. L’essentiel est de se « réaliser »: « L’identité est le premier vecteur de redéfinition de la notion de personne aujourd’hui. » (Errenberg 2000, p.209).

Sauf que…

« La société sans individus et l’individu sans société sont des choses qui n’existent pas. » (Ellias, 1991, p.117). La conscience personnelle ne se construit qu’à travers la confrontation à l’autre, aux autres.

La doxa moderne prônant l’individualisme place ainsi les sujets (tout à la fois sujets de leur propre inconscient et sujets sociaux) dans un paradoxe : vivre autonome par une dépendance à son environnement.

Pour le travail social, ce paradoxe est particulièrement sensible : la commande est d’individualiser la prise en charge de situations problématiques qui trouvent leur origine dans des phénomènes collectifs et sociétaux. N’est-ce pas là une des difficultés majeure de la protection des enfants ? Les dispositifs de protection ne tendent-ils pas à protéger l’enfant « en soi », à l’éduquer « pour lui », sans tenir compte des interactions familiales, des influences culturelles, des problèmes socio-économiques qui, cependant, créent les conditions du risque ou du danger ?

  • Singularité et standardisation

Cette dernière contradiction s’exprime implicitement dans un autre paradoxe inhérent aux pratiques d’action sociale.

D’une part, l’injonction de faire du « sur-mesure » est posée. Par exemple, en France, la loi de 2002, rénovant l’action sociale et médico-sociale, prescrit : « Une prise en charge et un accompagnement individualisé de qualité favorisant son développement, son autonomie et son insertion, adaptés à son âge et à ses besoins, respectant son consentement éclairé qui doit systématiquement être recherché lorsque la personne est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision. » (Article L 311-3 du Code de l’action sociale et des familles).

Mais d’autre part, l’uniformisation des comportements professionnels, via des « standards de pratiques » est visée. En France toujours, le même Code de l’action sociale et des familles pose la qualité comme référée à des « recommandations de bonnes pratiques professionnelles ». C’est ainsi que nous pouvons voir des procédures apparaître dans les services qui standardisent les modes opératoires.

Nous sommes donc devant une contradiction où la mystification de l’individu en opposition avec le principe de société – terreau indispensable du sujet – fait écho au paradoxe posé aux travailleurs sociaux d’individualiser les prises en charge dans un contexte de standardisation des pratiques.

  • Réduction des moyens et accroissement des demandes

A cela vient s’ajouter une autre contrainte : faire mieux avec moins.

L’action sociale se trouve confrontée à une montée en puissance exponentielle des besoins. Elle se trouve au point de collision de grandes tendances planétaires qui, in fine, mettent à mal des personnes : crise économique qui renforce les phénomènes de pauvreté, mutations sociétales et anthropologiques qui brouillent les repères éducatifs de familles en transformation, rapports nord-sud instables qui créent des phénomènes migratoires économiques et politiques, vieillissement des populations qui entraîne une augmentation des situations de dépendance, etc.

Cet accroissement quantitatif des besoins se trouve associé à des modifications sensibles des repères d’action. D’une part, les niveaux d’exigences ne cessent de croître à l’égard des situations vécues (enfance en danger, grand âge, handicap…). La société demande que des solutions soient apportées par la puissance publique, là où les solidarités familiales apportaient des réponses. D’autre part, les seuils de tolérance aux phénomènes de dysfonctionnements sociaux sont de plus en plus bas (délinquance, errance, immigration…). L’intolérance de la société aux expressions des difficultés sociales impose la construction de réponses de plus en plus couteuses.

Ce double phénomène d’accroissement des besoins et de développement des réponses se trouve contredit par une volonté des pouvoirs publics de mieux maîtriser les dépenses liées à la solidarité. Il est en effet plus difficile d’être généreux (principe de fraternité) quand les subsides viennent à manquer. Les moyens consacrés à l’action sociale se tendent, se réduisent sur certains postes (en France, par exemple,  les Centres d’hébergement et de réadaptation Sociale).

La seule issue est un nouveau paradoxe : faire mieux avec moins !

Des convergences

Ces divergences qui marquent la commande sociale passée aux institutions croisent des convergences puissantes qui configurent les stratégies des organisations. Parmi celles-ci, nous pouvons repérer, en premier lieu, ce qu’il conviendrait de nommer un retour en force du positivisme – la croyance scientiste de liens prédictibles et mécaniques entre causes sociales et effets pouvant être traités par des réponses universelles – qui converge avec une rationalisation de plus en plus radicale des pratiques et des formes organisationnelles. Ce positivisme, convoquant une injonction d’efficacité, prend appui sur une autre convergence où l’intolérance grandissante de l’opinion face aux problèmes sociaux posés par les publics marginalisés s’allie à des pratiques de contrôle social qui s’inscrivent de plus en plus dans le cahier des charges imposé aux institutions d’action sociale. Une troisième convergence, pour ne citer que celles-là, apporte un crédit technique à ces tendances lourdes : l’appel à la performance qui converge avec la pathologie quantophrénique des bureaucraties de contrôle. Le résultat chiffré devient l’alfa et l’oméga de ce puissant mouvement de transformation des organisations.

  • Positivisme et rationalisation

Le scientisme était mort. Le positivisme n’avait pas réussi à totalement rationaliser les phénomènes et à les classer de manière irréfutable. L’école de Palo Alto était parvenue à complexifier la compréhension du monde en concevant les phénomènes dans leurs interactions et leur indétermination. Ces progrès épistémologiques sont aujourd’hui mis à mal par une sorte de retour insidieux d’une croyance – quasi-magique – en une rationalité supérieure de toute chose. Le positivisme est de retour en tentant de ressortir des limbes des liens automatiques de causalité entre les actions et leurs conséquences.

Sans doute, la tentative de l’économie de s’ériger en science exacte est-elle une des sources de ce retour superstitieux à la croyance positiviste. L’économie tente de nous faire croire que des lois intangibles régissent les échanges commerciaux et seraient transférables sans précaution à toutes les interactions humaines et sociales,

La face visible de ce scientisme qui ne dit pas son nom apparaît dans la convergence de cette construction théorique avec la tentative de rationalisation de l’humain : fichiers , prédiction précoce des comportements, prévisibilité des destins sociaux, accumulation irraisonnée de données numériques visant à tracer des comportements individuels et collectifs, criminalisation des déviances (notamment la folie), standardisation du travail pour autrui (enseignement, formation, accompagnement social, soins).

  • Intolérance et contrôle social

Nous avons évoqué plus haut la manière dont est montée en puissance l’exigence accrue de réponses sociales aux problèmes et dont s’est réduit le seuil de tolérance aux phénomènes d’inadaptation sociale. Ces deux phénomènes convergent en fait dans le renforcement d’une forme de contrôle social.

Multiplier les solutions de prise en charge ou d’accompagnement des personnes fragiles (enfants à protéger, personnes handicapées, personnes âgées dépendantes) assure subrepticement un contrôle de ces publics qui, s’ils étaient livrés à eux-mêmes, poseraient finalement un problème à l’ordre social. La force socialement subversive des questions que pose leur situation est puissante. Elle ne trouve pas à s’exprimer parce que ces publics sont triés, classés, organisés et intégrés dans des dispositifs de traitement qui sont aussi des systèmes de contenance.

La réduction de l’acceptabilité par la société des expressions visibles de l’inadaptation sociale de certains publics produit également des effets de contrôle social. Les mineurs délinquants sont « enfermés » dans des centres spécialisés (en France les Centres Educatifs Fermés), les demandeurs d’asile sont confinés dans des structures d’accueil dédiées (en France les Centres d’Accueil pour Demandeurs d’Asile), les déboutés du droit d’asile, en France, sont consignés dans des centres de rétention administrative. Les personnes en errance sont prises en charge dans des centres d’accueil d’urgence ou des structures d’insertion (en France des CHRS). Tous ces dispositifs, pour indispensables qu’ils soient, participent du cadrage des populations.

  • Performance et quantophrénie

Une troisième convergence apparaît comme essentielle au mouvement de normalisation actuel – sans que nous ne puissions les citer toutes – c’est l’injonction à la performance. Nous avons dit plus haut « faire mieux avec moins ». L’habillage de ce paradoxe se nomme « performance ».

Le concept de performance a poussé dans le terreau des évolutions que nous venons de décrire :

  • Emergence de l’individualisme qui réduit la relation d’aide à un acte de consommation ;
  • Erosion des analyses socio-économiques sur les phénomènes collectifs qui génèrent les dysfonctionnements sociaux ;
  • Individualisation des actions qui réduit l’accompagnement social à une simple prestation ;
  • Standardisation des pratiques qui fait croire qu’il existe « une » bonne façon de procéder ;
  • Embolisation du système par l’explosion des besoins qui requiert des choix de gestion ;
  • Réduction des budgets publics qui impose la recherche d’économies ;
  • Prédominance d’une pensée rationalisante qui réduit la créativité à la reproduction de standards d’action ;
  • Nécessité de prouver l’efficacité des actions sociales face à l’envahissement des problèmes ;

La performance serait la réponse à tout cela d’un seul coup (d’un seul « coût » ?). Elle serait l’alpha et l’oméga d’une action sociale qui peine à se légitimer, notamment au regard des charges qu’elle fait peser sur les budgets des collectivités publiques.

Le concept est simple, voire simpliste :

  1. Chaque problème a sa solution ;
  2. Donc, la « bonne » solution (forcément au singulier) est celle qui produit le plus d’effets pour la moindre consommation d’énergie ;
  3. Donc, une fois qu’elle est définie, il suffit de l’appliquer partout pour générer des économies de coûts et une amélioration de la qualité ;
  4. Problème suivant s’il vous plait !

La performance se réduit ainsi à l’application des recommandations universelles érigées en principes d’action. En France, c’est l’Agence Nationale d’Appui à la Performance (ANAP) qui assure cette mission de définir les bonnes pratiques (tableaux, indicateurs) et de les diffuser.

La performance a une ombre portée : la quantification de toute chose. En effet, les seuls critères formels sur lesquels porter le fer sont ceux que l’on peut comptabiliser (la « bonne » surface d’une chambre, le coût cible d’une prise en charge, le tarif plafond d’un acte, etc.). La quantophrénie – cette maladie qui consiste à transformer le réel en chiffres et surtout à croire que « c’est » le réel – envahit tous les champs d’action et donc, également, le travail social. Cet allié pathogène de la performance transforme ainsi la complexité des phénomènes en données numériques que l’on peut classer dans les petites cases des procédures à respecter.

Des émergences

Mais ces divergences et ces convergences n’empêchent pas des émergences qui peuvent devenir des points d’appuis stratégiques pour influer l’avenir, et donc les capacités créatrices des acteurs, si nous savons les observer et les intégrer. Malgré une commande publique de plus en plus orthonormée, le travail « du » social reste situé, pour une part, dans les interstices des fonctionnements sociaux. C’est là qu’il trouve sa raison d’être, son efficience et son sens. Ce travail social refondé sur une perspective de transformation de la société est porté par des organisations du seuil. C’est-à-dire des organisations qui quittent leur regard égocentré sur elles-mêmes au profit de la valorisation de leur capacité à échanger, à nouer des liens de partenariat, à s’immerger dans le milieu de vie où elles agissent. A travers ce mouvement de rénovation qui prend en compte la biodiversité des réalités sociales, émerge un autre mode de relation entre intervenants et usagers qui permet un faire-ensemble, une co-construction dans l’action.

  • Un « travail social » interstitiel

En fait, il s’agit de rester optimiste. Non pas béatement mais parce que toutes ces tendance lourdes ne « marchent pas ». L’échec des tentatives de rationalisation est patent dans d’autres domaines que le seul travail avec et pour autrui. Il n’y a pas que les relations humaines qui résistent à la standardisation. Même le secteur industriel se montre, sous certains aspects, rétif à une conception trop fermée des pratiques de production.

Hormis les résistances culturelles du champ professionnel qu’il serait trop long d’aborder ici, la mise en cause d’un positivisme absolu apparaît particulièrement forte dans l’action sociale pour une raison structurelle. Le travail social est, par définition, un travail avec et sur les diversions. Son objet est « à côté » (hors normes, inadapté, marginal, subversif, transgressif, etc.). La seule manière de rejoindre l’usager suppose, intrinsèquement, de faire « un pas de côté ». C’est au prix d’un effort d’empathie que des travailleurs sociaux peuvent accéder aux personnes en souffrance. C’est parce qu’ils cherchent à comprendre les transgressions que des éducateurs peuvent accompagner des mineurs délinquants. C’est en se mettant un peu à leur place que des accompagnants s’allient à des personnes handicapées. C’est souvent en quittant leurs certitudes éducatives que des travailleurs sociaux peuvent créer l’alliance indispensable avec des enfants ou des parents en grande difficulté.

L’avenir du travail social ne réside donc pas dans sa rationalisation et son niveau de performance mais dans sa capacité à tenir un espace de travail « à côté » dans la société. Le travail social est génétiquement interstitiel, c’est bien là que se tient sa raison d’être – c’est dans les interstices qu’il rejoint son objet de travail – sa légitimité – un travail social strictement rationalisé n’aurait pas de raison d’être puisqu’il raterait sa cible – et son sens – sa finalité est de « viser à côté ».

  • Des organisations du seuil

Cette perspective d’un travail social interstitiel ouvre un champ de réflexion trop peu exploré à ce jour quant au type d’organisation qui peut supporter un tel projet d’action.

Le modèle d’organisation induit par les tendances d’évolution que nous avons identifié est profondément inadéquat :

  • Centrée exclusivement sur l’individu, l’organisation transforme la relation d’aide – qui vise normalement l’émancipation de la personne – en prestation. Elle devient ainsi une simple distributrice d’actes, instrumentalisée par sa mission.
  • Faisant l’impasse sur la dimension sociétale des problèmes qu’elle a à traiter, l’organisation mutile son analyse pour la réduire à des liens de causalité individuels.
  • Individualisant ses prestations, elle ampute l’usager de sa dimension citoyenne en le réduisant au rôle de client.
  • Standardisant ses pratiques, elle prive ses parties prenantes de toute créativité.
  • Réduisant sa légitimité à quelques critères de « bonne gestion » et quelques principes simples de « conformité », elle dissous son projet dans une opérationnalité qui n’a plus de sens.
  • Participant à l’hégémonie de la pensée rationalisante en produisant toujours plus de normes, elle aliène son avenir à un rôle de simple exécutant.
  • A terme, sa seule légitimité sera d’être conforme à une commande sociale sur laquelle ni l’organisation, ni ses usagers, n’auront prise.

Il nous faut défendre un autre modèle organisationnel :

  • Qui repose sur sa capacité à associer toutes ses parties prenantes (administrateurs, professionnels, usagers, familles d’usagers mais aussi habitants) au projet de l’organisation.
  • Qui œuvre constamment sur la double dimension de la personne et du groupe. Autrement dit qui prend en compte toutes les dimensions du sujet (la personne, ses liens, ses droits, ses visées, ses collectifs d’appartenance…).
  • Qui ne cesse de traiter les problèmes relevant de sa mission à la fois comme des souffrances personnelles mais aussi comme des symptômes de dysfonctionnements sociaux.
  • Qui associe l’usager à l’action selon un principe de co-construction visant, par l’action elle-même, la promotion de sa pleine citoyenneté.
  • Qui ouvre, en son sein, des espaces de créativité où chacun apporte sa contribution selon le principe de l’organisation apprenante.
  • Qui fonde sa légitimité sur son utilité sociale – en fait sur sa capacité à contribuer à la transformation sociale – et non sur des critères de conformité.
  • Qui refuse de stériliser les processus de travail, les pratiques et les conduites professionnelles, dans des protocoles clos qui vitrifient la créativité et l’innovation indispensable à la nature même du travail social.

En d’autres lieux (Janvier, Lavoué, Jézéquel, 2011), nous avions nommé ce type d’organisation des « organisations du seuil ». Il s’agit d’organisations :

  • Exocentrées : ce qui est alors mis en valeur, c’est la périphérie de l’organisation qui est en contact permanent avec son environnement.
  • Ecologiques : c’est-à-dire inscrites dans un échange équilibré avec leur contexte qu’elles enrichissent par leur action et qui les enrichit en retour comme un terreau fécond.
  • Agents de développement social local : c’est-à-dire solidaires des territoires où elles interviennent et acceptant de lier leur destin au lieu et à ses habitants.
  • Solidaires et coopératives : elles travaillent avec, par et pour les autres organisations du territoire qui sont la condition de leur développement et de leur survie (milieu biodiversifié).
  • Polyvalentes et/ou polycompétentes : leur spécialité ne réside pas uniquement dans leur expertise mais aussi dans leur capacité à prendre en compte l’ensemble des questions sociales dans leurs interdépendances qui font système.
  • Un « faire ensemble »

Il s’agit d’un modèle alternatif d’organisation fondé sur des principes radicalement différents de ceux qui prévalent aujourd’hui dans la pensée dominante des modèles d’entreprise. L’objectif poursuivi est double :

  • D’abord, il s’agit de concevoir une organisation efficiente qui ne cède pas au simplisme de la performance.
  • Ensuite, il s’agit de définir une organisation qui met en cohérence ses modalités d’action avec les besoins des personnes qu’elle accompagne.

L’efficience n’est pas la performance en ce sens qu’elle relie plus étroitement les modes opératoires mobilisés avec la finalité de l’action. Une organisation efficiente considère que la fin est entièrement contenue dans les moyens. Pour faire le lien avec notre critique de la rationalisation normalisatrice, nous pouvons affirmer que la standardisation est inadaptée à toute action cherchant à rejoindre des personnes qui, précisément, échappent aux normes sociales (du fait d’un handicap, d’une inadaptation, d’une difficulté personnelle, sociale ou économique). Se centrer sur l’efficience revient à conférer une dimension politique à la dimension technique que mobilise toute organisation. Autrement dit, là où l’organisation rationalisée fait de la norme un absolu, l’organisation du seuil fait de la norme un espace de négociation où les pratiques interrogent les codes dans une perspective de transformation sociale. Dans cette perspective, ce ne sont pas les professionnels qui disent ce qu’il faut faire. L’action est une co-construction qui mobilise chacun.

La cohérence n’est pas la conformité. Ces deux notions peuvent même apparaître antinomiques. En effet, un rapport de conformité – par définition standardisé – expose l’organisation au risque de l’inadéquation à la situation et à son contexte. Le souci de cohérence met au premier plan la volonté d’adapter la réponse à la singularité de la situation. La cohérence déploie le singulier là où la conformité uniformise le pluriel. S’adapter ne se réduit pas à l’individualisation. Il s’agit plutôt de mobiliser la capacité de souplesse et de fluidité de l’organisation pour agir au plus près de chacun et dans l’intérêt de tous. La cohérence associe le singulier et le collectif comme deux dimensions indissociables du sujet. Refuser la conformité est donc, ici aussi, un projet politique qui réhabilite le pouvoir d’agir de chacun afin que cette co-construction – un faire-ensemble entre sujets – se transforme en capacité collective à construire un avenir – un faire-ensemble entre pairs – qui participe à la transformation sociale – un faire-ensemble entre citoyens.

Bibliographie :

Ehrenberg Alain, La fatigue d’être soi, dépression et société, O. Jacob, 2000.

Ellias Norbert, La société des individus, Fayard, 1991.

Janvier Lavoué Jézéquel, Transformer l’action sociale avec les associations, Desclée De Brower, 2011.

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Présentation de l’auteur

Roland JanvierRoland JANVIER, chercheur en sciences sociales, titulaire d’un doctorat en sciences de l’information et de la communication.
Je suis actuellement président du Comité Régional du Travail Social de Bretagne.
Repolitiser l'action sociale

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