.1. INTRODUCTION :
.1.1. Une évolution au croisement de trois logiques
L’évolution des pratiques éducatives, depuis 5 ou six décennies, est particulièrement sensible dans les Maisons d’Enfants à Caractère Social (MECS). En effet, ces institutions sont au cœur de l’acte éducatif. Plus que les Instituts Thérapeutiques, Educatifs et Pédagogiques où les problèmes comportementaux peuvent, parfois, être l’arbre qui cache la forêt, plus que les établissements relevant du champ de l’éducation spéciale (médico-social enfance) où la problématique du handicap masque les enjeux sociétaux de l’éducation, les MECS justifient leur intervention par l’éducatif, essentiellement référé aux défaillances parentales.
L’évolution des pratiques éducatives se situe au croisement de trois logiques : celle de l’usager, celle de la trajectoire institutionnelle, celle enfin des postures éducatives des professionnels.
- La logique de l’usager : Elle a considérablement évolué depuis le début du XXème siècle. Elle est intimement liée à la représentation sociale de la personne, à la conception de l’individu dans les rapports sociaux. En matière de protection de l’enfance – mission centrale des MECS – la logique de l’usager est donc impactée par le statut de l’enfant dans sa relation avec ses parents, dans sa place au sein de la famille.
- La logique de l’institution : Elle est liée au statut de l’intervention sociale dans la société. La légitimité du travail social n’étant pas acquise une fois pour toutes. Cette fonction de l’intervention sociale – du contrôle social à la promotion d’une citoyenneté de plein exercice – marque profondément la logique institutionnelle des MECS.
- La logique professionnelle : Quant à elle, bien que liée aux deux logiques précédentes, dépend également de la place qu’occupe l’expertise dans l’action. En ce domaine, les postures professionnelles des métiers de l’éducatif ont considérablement bougé – de la figure charismatique à l’ingénieur social en passant par le technicien de la relation.
.1.2. Une évolution qui n’est pas linéaire
Les évolutions législatives peuvent être repérées sur une double échelle : D’une part, ce qu’elles promeuvent d’une volonté de contrôle des populations déviantes, d’autre part, ce qu’elles développent d’une volonté de promotion des personnes. Logiques répressives ou logiques promotionnelles s’entrecroisent de manière complexe depuis plus d’un siècle en matière de protection de l’enfance. On peut placer les principaux textes de loi sur une échelle qui mesure l’une ou l’autre de ces deux dimensions. Cela permet de constater les ruptures de logiques qui sont la première caractéristique du regard que notre société porte sur sa jeunesse, au gré des actualités.
.1.3. Neuf points de repères législatifs
Pour tracer les grandes lignes de ces évolutions, nous pouvons retenir neuf textes emblématiques qui marquent les étapes de l’évolution du contexte législatif qui configure les MECS.
- La loi Roussel du 24 juillet 1889 a un caractère révolutionnaire en matière de droit de la famille : elle induit l’idée que l’enfant peut-être protégé, y compris de sa propre famille.
- L’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante met en avant la protection des mineurs délinquants par une priorité donnée aux mesures éducatives.
- Les ordonnances des 22 et 23 décembre 1958 créent les juridictions pour mineurs et le dispositif de protection judiciaire de l’enfance en danger. Parallèlement, l’ordonnance du 7 janvier 1959 instaure l’aide sociale pour les familles avec la protection sociale de l’enfance.
- La loi du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales organise, codifie et contrôle la phase de création de réponses sociales tout azimut qui suivit la seconde guerre mondiale.
- Le rapport Bianco-Lamy, en mai 1980, annonce une série de réformes en matière d’Aide Sociale à l’Enfance au service de la reconnaissance des droits de l’enfant et de sa famille : circulaire Barrot du 23 janvier 1981, circulaire Questiaux du 28 mai 1982, loi relative aux droits des familles dans leurs relations avec les services chargés de la protection de la famille et de l’enfance du 6 janvier 1984.
- La Convention Internationale des Droits de l’Enfant proclamée par l’Assemblée Générale des Nations Unies le 20 novembre 1989 qui fait de l’enfant une personne pleinement titulaire de droits.
- La loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale qui outille les établissements et services sociaux et médico-sociaux dans le but de garantir les droits des personnes accueillies.
- Le 5 mars 2007 voit la publication de deux lois qui ouvrent deux voies radicalement opposées en matière de protection de l’enfance. La loi relative à la prévention de la délinquance (renforcée à de multiples reprises depuis cette date au cours du septennat du Président Sarkozy) affirme que le mineur délinquant est délinquant avant d’être mineur. C’est la direction opposée aux intuitions de 1945.
- L’autre loi du 5 mars 2007, portant réforme de la protection de l’enfance, affirme quant à elle le principe central de l’intérêt de l’enfant et le respect de ses droits. La première loi (2007-297) fait de l’enfant un coupable, la seconde (2007-293) fait de l’enfant une victime pour laquelle toute action repose sur la reconnaissance de ses droits et de ceux de ses parents.
.2. LA PREMIERE ATTEINTE A LA PUISSANCE PATERNELLE (1889 : Loi Roussel)
.2.1. Les représentations sur la famille s’ébranlent
En cette fin du XIXème siècle, la loi dispose que l’enfant n’est plus soumis à la patria potesta (mythique pouvoir de vie ou de mort des pères romains sur leur descendance). L’évolution législative est le symptôme d’une réforme en profondeur des conceptions de la famille. Le sénateur Gavardie ne s’y est pas trompé qui déclarait, lors des débats parlementaires autour du texte de la loi Roussel : « Suspecter un père, c’est les suspecter tous, suspecter une famille c’est les suspecter toutes. Cela risque d’aboutir à la mort… de la famille[1] »
.2.2. Les bienfaits des institutions éducatives
Le modèle dominant est celui de l’orphelinat. La notion de « bonne institution » s’oppose à celle de « mauvaise famille ». Il convient donc de « déchoir » de leurs droits les mauvais parents et de tenter de sauver leur progéniture par leur mise à l’écart dans des institutions d’éducation.
Cette période est marquée par le fort développement de mouvements pédagogiques qui vont apporter une caution scientifique aux évolutions des méthodes éducatives.
.2.3. Une logique substitutive des professionnels
L’intervention éducative, conformément à la figure de l’orphelin, prive l’enfant de ses parents. L’éducateur se substitue à ces derniers et substitue son autorité professionnelle à celle des pères et mères. L’éducation repose sur le principe de l’autorité, l’éducateur est d’abord légitimé par son charisme. La posture charismatique est largement empruntée au modèle religieux.
.3. LA PRIMAUTE DE L’EDUCATIF (1945 : ordonnance relative à l’enfance délinquante)
.3.1. Eduquer avant de punir
A la sortie de la seconde guerre mondiale et de la victoire de l’Europe contre le nazisme, l’ordonnance du 2 février 1945 affirme que la lutte contre la dictature passe par l’éducation. L’enfant, fut-il délinquant, est digne d’être éduqué, c’est-à-dire doit être l’objet de toute l’attention des adultes afin d’éviter sa dérive vers les comportements asociaux.
.3.2. Des institutions à forte valeur ajoutée éducative
L’immédiat après-guerre voit se développer les centres d’observation. Ils permettent de penser les attitudes éducatives en fonction des besoins des enfants. Ils portent les germes des innovations pédagogiques qui vont marquer la période des trente glorieuses.
Les postures éducatives se déploient dans des pratiques sportives, au profit d’une vie saine, au cœur de la nature. Cela n’empêche pas le maintien de pratiques plus musclées et la survivance des bagnes d’enfants ou autres colonies pénitentiaires que la décence avait rebaptisées « centres d’éducation surveillée ».
Le juge des enfants, créé en 1912 avec les tribunaux pour enfants, se trouve doté d’une véritable juridiction spécialisée pour les mineurs.
.3.3. Emergence de la figure de l’éducateur
La valeur de l’effort, notion alors centrale de l’éducation, est personnalisée par l’exemplarité de la figure de l’éducateur. L’adulte est investi d’une fonction d’entraînement de l’enfant à travers des activités physiques, manuelles ou sportives.
.4. L’ÉTAT ENTRE DANS LA FAMILLE (1958/59 : ordonnances relatives à la protection de l’enfance, à l’assistance éducative et au milieu ouvert)
.4.1. L’assistance éducative : police des familles ?
Durant la seconde moitié du XXème siècle, nous assistons à la fois à un formidable développement de l’offre éducative institutionnelle, portée par la construction théorique des mouvements pédagogiques, et à une immixtion de plus en plus forte de l’État dans la vie privée de la sphère familiale.
Même si elle constitue un véritable progrès des modalités d’intervention, l’assistance éducative en milieu ouvert (décret du 23/12/1958) représente effectivement une intrusion des professionnels dans l’espace familial. La logique éducative s’affirme ainsi de manière forte dans le contrôle des conditions d’éducation des enfants, ce que J. Donzelot nommera « la police des familles ».
La valeur qui prime alors, se fonde sur l’idée que l’enfant doit être « protégé ». 1959 est l’année de la déclaration internationale des droits de l’enfant qui affirme ce principe : « L’enfant doit bénéficier d’une protection spéciale et de moyens spécifiques pour se développer d’une façon saine et normale sur le plan physique, intellectuel, moral, spirituel et social. »
.4.2. Diversification des formes institutionnelles d’intervention
L’apparition d’une action éducative dite « en milieu ouvert » rompt avec le modèle unique de l’internat. C’est à partir de ce moment que les formes et modalités d’intervention éducative vont se diversifier auprès des familles.
Le décret du 7 janvier 1959 fonde ce qui deviendra le service de l’Aide Sociale à l’Enfance en instituant, notamment, des mesures à caractère administratif. La protection de l’enfance trouve ainsi sa forme spécifique en offrant soit des mesures administratives soit des mesures judiciaires qui, elles-mêmes, se divisent en mesures pénales et en mesures civiles.
.4.3. Une logique supplétive des professionnels
La suppléance prend la place de la substitution. Il ne s’agit plus de faire à la place des parents mais de suppléer leurs défaillances. D’intervenir là où leurs attitudes mettent en danger la santé ou la moralité de l’enfant.
Les professionnels prennent en charge les mineurs selon une pluralité des approches. Les théories psychologiques, la référence à la psychanalyse gagnent du terrain dans l’explication des comportements des jeunes. Ils apportent un éclairage complémentaire à celui de la famille.
.5. L’ÉTAT ORGANISE L’INITIATIVE PRIVEE (1975 : loi relative aux institutions sociales et médico-sociales)
.5.1. Les personnes en difficulté deviennent des publics
La loi de 1975, relative à la planification de l’action sociale repose sur une logique de programmes, symbolisée à l’époque par la suprématie du commissariat au plan. L’action publique se planifie et vise des publics cibles. Les choix budgétaires doivent être rationnalisés dans un contexte de crise consécutive aux « chocs pétroliers ». L’organisation de l’intervention sociale et médico-sociale est ainsi clarifiée. Nous parvenons ainsi au terme d’une phase de trente années d’initiatives foisonnantes pour répondre aux besoins sociaux.
Autre évènement remarquable qui impacte la logique de l’usager : la réforme de l’autorité parentale (loi du 4 juin 1970). L’autorité parentale se partage désormais entre le père et la mère. La refonte des conceptions et représentations qui circulent autour de la famille poursuit son chemin, modifiant la place et le rôle de l’enfant et, par conséquent, ceux de leurs éducateurs (parents ou professionnels).
.5.2. Des institutions au service de « publics »
Les rapports RCB fleurissent (Rationalisation des Choix Budgétaires), ils manifestent la volonté des pouvoirs publics de mieux maîtriser les enjeux des politiques publiques.
Les institutions ne trouvent plus leur légitimité par l’initiative privée qui leur a donné naissance mais par leur inscription dans des dispositifs d’intervention sociale. Les MECS sont situées dans la planification des moyens gérés par les conseils généraux et participent au dispositif départemental de protection de l’enfance.
.5.3. La professionnalisation des éducateurs
Avec la création du Diplôme d’État d’Educateur Spécialisé en 1967, la montée en puissance de la professionnalisation de l’éducation franchit une étape décisive.
L’éducateur reste, dans cette période, celui qui « fait pour » l’enfant, « à la place » de ses parents. Mais ce « faire pour » est un « être avec » ce qui représente un élément central de la posture éducative. C’est cela qui motivera quelques pionniers à sortir des institutions pour « aller vers » les jeunes, dans les espaces urbains des cités, inventant ainsi la prévention spécialisée. L’éducateur se situe dans l’étayage des jeunes.
.6. LA FAMILLE « LE RETOUR 1 » (1980 : Rapport Bianco-Lamy)
.6.1. Enfant et parents doivent être « associés » au projet éducatif
Le rapport Bianco-Lamy marque une rupture avec les logiques substitutives et supplétives. Il manifeste la volonté politique selon laquelle l’enfant et sa famille doivent être associés au projet. C’est là une voie possible pour réduire les placements d’enfants dont le nombre interroge les décideurs. « Trop d’enfants sont retirés à leur famille sans qu’aient pu être apportés tous les moyens qui pourraient permettre à la famille de les garder » (Préface rapport Bianco-Lamy).
.6.2. Révolution dans les MECS
L’institution éducative quitte un peu de sa toute puissance pour composer avec les familles. Celles-ci disposent de droits, introduits par la loi de 1984 sur le droit des familles en matière d’Aide Sociale à l’Enfance, qui modifient en profondeur les façons de faire.
L’enfant et ses parents doivent être informés des mesures prises et des conséquences qu’elles entraînent, notamment pour l’exercice de l’autorité parentale. Être associé signifie clairement permettre aux usagers de prendre part à la décision du plan d’action. Ils doivent être consultés, c’est-à-dire que l’avis du mineur et de ses parents doit être formellement recueilli. De plus, toute personne accueillie peut se faire accompagner de la personne de son choix pour l’aider à faire valoir ses droits. Enfin, les mesures prises ne peuvent relever du fait du prince. Elles doivent être garanties, notamment en faisant l’objet d’une révision régulière.
.6.3. Nouvelle posture des professionnels : la collaboration
A travers les réformes de cette période, l’éducateur passe progressivement du « face à face » au « côte à côte ». Il devient, sous la figure pas si lointaine de l’animateur, celui qui chemine avec les parents et l’enfant sur un chemin éducatif qu’il n’est plus seul à maîtriser.
La collaboration représente explicitement l’abandon du « faire pour » au bénéfice du « faire avec ».
.7. L’ENFANT EST UN HOMME (1989 : Convention Internationale des Droits de l’Enfant)
.7.1. L’autonomie de l’enfant
L’enfant est une personne « autonome », c’est cela que consacre la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE). Tout doit être mis en œuvre pour favoriser son développement personnel : « Favoriser l’épanouissement de la personnalité de l’enfant et le développement de ses dons et de ses aptitudes mentales et physiques dans toute la mesure de leurs potentialités» (Art.29 Convention Internationale des Droits de l’Enfant). Pleinement titulaire des droits de l’Homme, il se voit provisoirement limité dans leur exercice du fait de sa vulnérabilité. Cette dernière lui apporte en revanche des protections supplémentaires qui incombent aux adultes.
.7.2. Du collectif à l’individuel
La CIDE consacre, à travers la personne de l’enfant, la montée en puissance de l’individu dans les rapports sociaux. Elle oblige à réarticuler les logiques collectives avec l’individu devenu central et incontournable. Les MECS sont ainsi mises au défi de concilier des prises en charges par nature collectives avec la prédominance d’un enfant sujet autonome qui doit être considéré dans toute son individualité, y compris à l’égard de ses parents.
Dans le même temps, l’injonction d’ouvrir l’institution aux parents reste forte. La prise en compte des parents, par exemple par les conseils d’établissement instaurés en 1992, doit trouver une cohérence avec la reconnaissance de l’enfant, tout en respectant les contraintes du collectif.
.7.3. Des éducateurs amenés à se justifier
Dans ce contexte nouveau, la question se pose naturellement : quelle est la plus-value apportée par l’intervention de professionnels de l’éducation ? En quoi ceux-ci favorisent-ils réellement la reconnaissance des droits de l’enfant sans pour autant porter atteinte aux prérogatives des parents largement revalorisées par la CIDE ?
Le changement de posture qui s’opère alors est le passage de la prise en charge à l’accompagnement. L’éducateur est celui qui accompagne l’enfant sur le sinueux sentier de son épanouissement entre sa légitime individualité et le rôle primordial des parents.
.8. L’USAGER EST UN CITOYEN (2002 : Le droit des usagers)
.8.1. L’enfant au centre
L’enfant, du fait de sa qualité d’usager, est un citoyen, c’est-à-dire un individu capable de participer à l’élaboration de son projet personnel et de prendre part à la vie de cette « micro-cité » qu’est une MECS.
Nous assistons à une inversion de la légitimité des institutions : elles sont d’abord au service des besoins de leurs usagers. « La personne accueillie doit être au centre du dispositif social et médico-social qui a été créé pour la satisfaction de ses besoins, dans le respect de sa dignité et de son intégrité. » (P. Guinchard-Kunstler, Sénat, 31/10/2001)
.8.2. L’institution contractualise avec ses usagers
Le principe de la contractualisation devient le moteur du fonctionnement institutionnel. L’aide doit recueillir l’avis des bénéficiaires, le plan d’action doit être co-élaboré avec les usagers, le projet personnalisé fait l’objet d’un contrat qui, pour les MECS, se formalise dans un Document Individuel de Prise en Charge, voire un véritable contrat de séjour.
De plus, la participation directe de l’enfant et de ses représentants légaux à la conception, à la mise en œuvre et à l’évaluation du projet pour l’enfant doit se compléter de leur participation à la vie et au fonctionnement de l’établissement sous tous ses aspects.
.8.3. La technicisation de l’acte professionnel
En termes de posture professionnelle, la loi 2002-2 nous fait quitter la notion de prise en charge et celle d’accompagnement pour introduire la notion de prise en compte. Il s’agit bien de prendre l’autre en compte dans ce qu’il est, ce qu’il dit, ce qu’il souhaite. En fait, on va plus loin que le « Faire avec » pour aller vers le « Faire ensemble », c’est-à-dire, initier une pratique professionnelle de co-construction de l’action.
Ces changements de posture se déroulent sur fond de technicisation du travail social. De nouveaux outils apparaissent dans la boite à outil des professionnels qui manipulent des contrats (DIPC), des livrets d’accueil, des règlements de fonctionnement, etc. Ces instruments visent à garantir les droits des personnes et modifient profondément les reflexes professionnels. Ils contraignent à une plus grande formalisation de l’action.
L’apparition de l’évaluation de la qualité des prestations délivrées va encore plus loin dans la formalisation de l’action. Une trace est conservée des actes professionnels pour en permettre l’évaluation.
.9. VICTIMES ET COUPABLES (2007 : prévention de la délinquance)
.9.1. Le clivage des catégorisations
La loi de prévention de la délinquance représente un retour en amont des intuitions de 1945. A cette époque, le mineur délinquant était perçu avant tout comme un jeune en danger qu’il convenait de protéger. En 2007, le mineur délinquant est d’abord un délinquant. C’est l’acte qui doit être traité avant la personne qui l’a commis. L’excuse de minorité n’a plus lieu d’être, ou au moins plus dans les proportions qui donnaient sens à la protection judiciaire de la jeunesse.
Cette criminalisation de la délinquance juvénile trace une ligne frontière entre mineurs en danger et mineurs dangereux. Ce clivage justifiera par la suite plusieurs attaques de la place singulière et du rôle du juge pour enfants laissant augurer de sa possible disparition…
.9.2. Clivage entre les institutions de protection de l’enfance
Les centres de l’éducation surveillée avaient fermé leurs portes sous l’effet de la priorité donnée à l’éducatif. Leur disparition abolissait les distinctions du passé entre les établissements à visée éducative et les établissements à visée répressive. La réouverture d’une forme moderne de ces établissements, sous l’appellation paradoxale de centres éducatifs fermés, fait renaître une frontière institutionnelle. D’un côté les coupables, de l’autre les victimes.
Cette redoutable distinction réintroduit au cœur de l’éducatif les logiques sécuritaires et discriminantes que des décennies de progrès éducatifs avaient réussi à éradiquer en partie.
.9.3. L’impasse de l’autoritarisme
L’autorité, la valeur de la force, la contrainte se trouvent ainsi réhabilitées comme postures professionnelles à vertu éducative. Peu importe que chacun sache qu’il s’agit de méthodes inefficaces qui appellent de la violence en réponse à la violence, qui enferment dans le cercle vicieux de la symétrie et de la reproduction. Les effets politiques d’annonce de mesures répressives destinées à rassurer un électorat affolé priment sur le bon sens. L’important ici n’est pas de promouvoir une jeunesse vers plus de civilisation. L’important est de rassurer une société vieillissante en doute sur elle-même et apeurée par sa jeunesse.
.10. LA FAMILLE « LE RETOUR 2 » (2007 : réforme de la protection de l’enfance)
.10.1. L’enfant et ses parents sont « parties-prenantes » de sa protection
Le 5 mars 2007 – date de publication de la loi de prévention de la délinquance et de la loi de protection de l’enfance – est le symbole d’une production législative ambigüe et versatile. Alors que la loi de prévention de la délinquance faisait appel aux notions de « sécurité » et de « responsabilité civique » (termes de l’exposé des motifs), la loi réformant la protection de l’enfance affirme : « L'intérêt de l'enfant, la prise en compte de ses besoins et le respect de ses droits doivent guider toute décision le concernant et constituent des principes fondamentaux sur lesquels doit reposer notre dispositif.» (exposé des motifs) Le dispositif de protection de l’enfance, c’est ce que dit la loi, repose sur les droits, la prise en compte des besoins, le respect de l’enfant. C’est exactement l’inverse de sa stigmatisation, de sa mise à l’écart de la société.
L’enfant est ainsi placé au cœur des actions, avec ses parents comme partenaires qui, dans la mesure de leurs moyens, doivent contribuer à sa protection et être associés aux mesures y contribuant.
.10.2. Les MECS conçues comme espaces de croisement des compétences ?
La valorisation des compétences des familles ne contredit pas la reconnaissance des professionnels. Elle se place en complémentarité de celles-ci. La protection de l’enfant repose sur l’articulation des compétences. En ce sens, les MECS peuvent se concevoir comme des espaces où cette complémentarité est mise au travail, est mise à l’épreuve de la confrontation des logiques.
Pensée comme institution apprenante, la MECS permet de développer de nouveaux savoirs, ceux qui sont issus de la compétence de l’équipe professionnelle et ceux qui proviennent directement de l’expérience des familles.
La MECS se pense alors comme le lieu où des moyens spécifiques vont être construits pour favoriser ce partage des savoirs et des pratiques entre parents et éducateurs, au bénéfice de l’enfant. L’enfant n’est alors plus placé au centre du dispositif, ce qui l’expose à tous les conflits de loyauté entre son affiliation familiale et celle qui le lie aux professionnels qui veulent son bien. L’enfant, ou plutôt son intérêt, peut au contraire devenir le centre de préoccupations croisées entre parents et éducateurs.
.10.3. Posture professionnelle : de la protection à la promotion
L’expertise professionnelle, nous venons de le voir, peut ainsi s’allier à l’expertise vécue des parents. Ces deux formes de l’expertise ne s’opposent pas car elles ne relèvent pas des mêmes registres : l’une est savante, acquise par un cursus de formation et une pratique, l’autre est expérientielle, liée au vécu et aux ressentis. Ces deux formes de savoirs se complètent et se combinent pour donner un éclairage plus riche de la situation, prenant en compte le réel, les cultures, les représentations selon des modalités moins normatives.
Ce processus, qui est en lui-même une révolution copernicienne que les équipes éducatives des MECS n’ont pas encore achevé, est rendu possible par un appui inconditionnel sur le droit. Le droit affirmé dans le Code de l’Action Sociale et des Familles, est le support incontournable de la promotion des enfants, et à travers eux des familles. Le droit, tel qu’il ressort de la loi de 2007, dont la mise en œuvre est encore très incomplète (au moins dans son esprit si ce n’est dans ses dispositifs), met définitivement un terme aux logiques de protection qui, quoi qu’on en dise, portent en elles des effets de discrimination, de relégation et de stigmatisation.
.11. CONCLUSION
La voie de la promotion des personnes, de leurs compétences, de leur dignité, de leur reconnaissance, est une voie bien plus protectrice que celle de la protection.
Pourquoi ne rebaptiserions-nous pas, sous l’éclairage de la loi de 2007 portant réforme de la protection de l’enfance, le « dispositif de protection de l’enfance » en « système de promotion de l’enfance » ?
Passer du « dispositif » au « système », c’est passer de l’institué à l’instituant. Ce qui compte, ce n’est pas l’organisation mais ce qu’elle permet d’échanges et de dynamique. La confrontation/coopération entre des familles en difficultés éducatives et sociales et des professionnels de l’éducation, ça ne fait pas dispositif, ça fait système !
Passer de la « protection de l’enfance » à la « promotion de l’enfance », c’est passer du statique au dynamique. Ce qui compte, ce n’est pas de préserver, fut-ce l’intérêt supérieur de l’enfant, c’est de créer les conditions d’une vie épanouie et riche. La promotion, c’est le mouvement positif de la reconnaissance, du développement, mouvement auquel sont invités les enfants et les parents.
Roland JANVIER
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