Introduction
Antonio Machado, dans son magnifique poème bien connu « Caminante no hay camino, se hace camino al andar », déclare
Voyageur, le chemin
C’est les traces de tes pas
C’est tout ; voyageur,
il n’y a pas de chemin,
Le chemin se fait en marchant
Le chemin se fait en marchant
Et quand tu regardes en arrière
Tu vois le sentier que jamais
Tu ne dois à nouveau fouler
Voyageur ! Il n’y a pas de chemins
Rien que des sillages sur la mer.
Tout passe et tout demeure
Mais notre affaire est de passer
De passer en traçant
Des chemins
Des chemins sur la mer
Voilà, mieux dit que quiconque ne pourrait le faire, la tâche qui incombe aux acteurs d’aujourd’hui : passer, tracer des sillages, créer des chemins. Pour cela, il nous faut regarder en arrière. Pour constater le chemin parcouru, non pour le regretter – c’est l’avenir qui attend nos espoirs – mais pour le connaître, le comprendre et en faire quelque chose.
1. Un héritage
Les Maisons d’Enfants à Caractère Social (MECS) ont un long et lourd passé, c’est un héritage. Un héritage auquel nul ne peut renoncer, chacun en est légataire, qu’on le veuille ou non. Un héritage sans doute insuffisamment connu des acteurs d’aujourd’hui, pourtant, cette histoire configure les pratiques contemporaines. Un héritage sans doute insuffisamment compris, pourtant, il comporte des enseignements utiles. Bref, un héritage qu’il faut assumer pour pouvoir penser où aller.
1.1. Un héritage à connaître
D’où viennent les MECS ? L’histoire de ces institutions recoupe étroitement l’histoire de la protection des enfants et donc l’histoire des représentations de l’enfant dans notre société telle que nous pouvons la décrire à travers l’évolution du droit positif[1]. Pour faire bref, nous pouvons identifier six grandes étapes :
1.1.1. Le temps du « pater familias »
Dans l’antiquité, l’enfant n’existait pas en tant que personne. Durant l’âge classique, il n’était perçu que dans sa capacité à assurer une lignée familiale ou la reproduction d’une force de travail. Le pater familias disposait d’un droit de vie ou de mort sur sa descendance (jusqu’au IIème siècle). On abandonnait les enfants dont la famille ne pouvait assurer la subsistance par « l’exposition » dans un lieu public – ce qui fut une façon de limiter l’infanticide. Dès le Vème siècle, les paroisses se donnent les moyens de recueillir les enfants abandonnés. Le premier orphelinat est identifié en 1150 à Montpellier à l’initiative de l’ordre du Saint-Esprit. Des distinctions s’opéreront ensuite entre enfants légitimes et illégitimes. Puis, l’hôpital général constituera une régression en matière de traitement des personnes exclues hébergeant indistinctement toutes formes de marginalité. Bien entendu, des enfants seront pris dans ce mouvement du « grand renfermement » décrit par Michel Foucault. Plus tard, les enfants abandonnés seront utilisés pour le peuplement des colonies françaises. Il faut noter l’influence qu’aura Saint Vincent de Paul dans l’élaboration de méthodes d’accueil des orphelins (placements chez des nourrices en province à l’abri des pollutions parisiennes).
1.1.2. Première rupture avec la Révolution française
La notion de « puissance paternelle » est remise en cause (suppression des lettres de cachet). On assiste à un transfert de la prise en charge des enfants abandonnés des œuvres charitables vers l’État. Un loi de 1793 fait obligation aux départements d’en assurer l’accueil. Mais ces mesures n’empêchent pas la poursuite des trafics d’enfants.
1.1.3. Le XIXème siècle : l’atteinte à la puissance paternelle
On sépare les enfants abandonnés des vagabonds et infirmes. Deux catégories se dessinent : les enfants trouvés qui bénéficiaient d’un placement et les enfants abandonnés. On instaure les « tours » qui deviendront les bureaux de dépôt pour réguler les abandons. Ce siècle voit apparaître l’école obligatoire, l’interdiction de travail des enfants, les aides et secours aux familles en difficulté et le service de l’assistance publique aux enfants. Ce siècle est aussi celui des colonies agricoles et des bagnes d’enfants. La loi du 24 juillet 1889, qui fonde la protection des enfants maltraités et moralement abandonnés (première atteinte à la puissance paternelle) fait rupture en induisant l’idée que l’enfant peut être protégé contre ses propres parents. Le pouvoir d’État se renforce sur la sphère privée familiale.
1.1.4. Le début XXème siècle : construction d’une législation
Grâce à l’évolution des courants pédagogiques, l’enfant s’affirme de plus en plus comme une personne. Dès le début du siècle est organisé le dispositif d’assistance publique aux enfants ainsi que les tribunaux qui leurs sont destinés. Le principe de l’assistance éducative est posé. Puis vient l’ordonnance du 2 février 1945 relative aux mineurs délinquants qui privilégie les réponses éducatives, suivie de l’institution du service de l’éducation surveillée (qui deviendra l’actuelle PJJ). Cependant, les modèles de l’orphelinat et des établissements disciplinaires perdurent.
1.1.5. La seconde partie du XXème siècle : les fondations d’une protection moderne
L’assistance éducative s’organise dans ses deux versants judiciaire et administratif. 1959 est l’année de la déclaration des droits de l’enfant. L’autorité paternelle devient parentale et la législation évoluera vers l’égalité des droits et devoirs entre père et mère. Puis viennent les deux lois du 30 juin 1975 qui organisent pour 30 ans les établissements et services sociaux et médico-sociaux, dont les MECS. L’Aide Sociale à l’Enfance – nouveaux noms des DASS – se dote de repères de plus en plus clairs à travers le droit positif : rapport Bianco-Lamy (1981), circulaire Barrot (1980), circulaire Questiaux (1982), loi sur les droits des familles dans leurs rapports avec de l’ASE (1984), transfert de l’ASE aux départements (1986). Ces évolutions, au plan international, aboutissent à la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (1989) et, en France, à la loi rénovant l’action sociale et médico-sociale du 2 janvier 2002 affirmant le droit des usagers.
1.1.6. Le XXIème siècle : de réforme en réforme
La protection de l’enfance ne s’est pas pour autant stabilisée avec ce flot législatif du siècle dernier. La loi de 2007 renforce la prise en compte des besoins fondamentaux de l’enfant (physiques, affectifs, intellectuels et sociaux) et privilégie le lien de l’enfant avec ses parents. Celle de 2016 tente de mieux assurer la stabilité des parcours des enfants protégés, plaçant les parents plus en distance de l’accompagnement éducatif. Puis, vient de « tomber » la loi du 7 février 2022 qui entend améliorer la situation des enfants protégés en interdisant notamment les placements à l’hôtel, en luttant contre les sorties « sèches » de l’ASE à la majorité, et en assurant meilleure protection des enfants contre les violences intra-familiales et institutionnelles. La loi modernise également le métier des assistants familiaux et la gouvernance nationale de la protection de l’enfance.
1.2. Un héritage à comprendre
L’évolution du droit positif nous permet de percevoir la manière dont l’enfant est progressivement devenu une personne à travers l’histoire des représentations. Mais cette évolution n’est pas aussi linéaire que le laissent voir les lois publiées. La protection de l’enfance évolue constamment entre deux conceptions de l’intervention sociale : une logique d’ordre et de contrôle et une dynamique de mouvement et de promotion.
1.2.1. Protéger l’enfant pour contrôler les déviances
Il s’agit là de l’héritage des colonies agricoles ou des bagnes d’enfants qui prônaient le « redressement » des enfants « débauchés » par les vertus du travail ou de la corvée et une discipline implacable des corps. L’enfant livré à lui-même est une « graine de crapule[2] » qui représente une menace pour la société. Les débats qui entourent encore aujourd’hui le traitement des mineurs délinquants est empreint de ces idéologies. On peut considérer que certains Centres Éducatifs Fermés, voire certains établissements habilités au titre des ex-ordonnances de 45[3], héritent de cette conception éducative.
Mais les MECS n’échappent pas à cette logique disciplinaire. Ne sont-elles pas parfois le réceptacle de jeunes dont les comportements problématiques ont provoqué leur rejet de toutes autres formes d’accompagnement éducatif ? L’établissement se trouve alors implicitement investi d’une fonction disciplinaire…
Le contrôle des déviances n’est pas exclusivement centré sur l’enfant, il concerne également les parents. Globalement, le dispositif de protection de l’enfance, outre qu’il entend mettre les enfants à l’abri, est également un dispositif de sanction des familles qui « dysfonctionnent ». L’ASE, ne nous le cachons pas, est un dispositif de contrôle des familles. Cette mission hérite de cette longue construction d’un État chargé à la fois de garantir les droits fondamentaux des citoyens mais aussi d’assurer les droits sociaux qui vont jusqu’au bien être des personnes, autorisant ses immixtions dans la sphère familiale privée.
Cette tendance nommée « disciplinaire » pour faire simple malgré la complexité de sa réalité, est en tension avec une autre tendance affirmée de la protection de l’enfance :
1.2.2. Promouvoir des conditions éducatives pour favoriser le développement de l’enfant
En termes d’héritage, cette tendance est issue des grands mouvements éducatifs, thérapeutiques et pédagogiques des siècles derniers : psychothérapie et pédagogie institutionnelles, psychanalyse, thérapies familiales, approches systémiques, pédagogies coopératives, etc. Courants influencés par Montessori, Freinet, Winnicott, les frères Oury, etc. Cette tendance, possiblement contradictoire avec la logique de contrôle citée ci-dessus, place les institutions éducatives dans une fonction de révélatrices des potentiels des personnes, d’étayage de leur pouvoir d’agir.
L’objectif du travail éducatif est d’accompagner l’enfant vers une situation de bien-être et de prise en main de sa vie, de ses choix, de ses orientations. Les pratiques d’accompagnement social interrogent les normes et ouvrent une négociation permanente entre ce qu’il conviendrait de faire et ce qui semble possible de réaliser, entre le principe de désir et le principe de réalité. Cette pédagogie porte une visée transformatrice des personnes et des environnements.
Cette fonction de promotion des personnes est beaucoup plus valorisante pour les établissements et services sociaux et médico-sociaux qui se focalisent sur elle, y investissent des énergies qui font évoluer les cadres d’intervention et les pratiques de terrain. Cependant, cette orientation généreuse ne doit pas occulter l’héritage normatif qui justifie également leur existence. Il n’est pas question ici de choisir l’héritage qui vous convient mais de se situer dans ce champ de tension inhérent au travail social et éducatif entre protection des personnes et promotion de leur citoyenneté. Nous sommes là au cœur du paradoxe de toute entreprise éducative.
1.3. Un héritage à assumer
C’est donc tout cela qu’il vous revient d’assumer pour envisager le présent et penser l’avenir des MECS. Assumer l’héritage, avec ses ambiguïtés, ses zones d’ombre et de lumière, ce n’est pas poursuivre le chemin qu’ont entamés les ancêtres. Machado nous l’a dit, le chemin passé ne peut être reproduction, il est invitation à poursuivre en traçant son propre sillage. C’est à cela que sont aujourd’hui convoqués les équipes professionnelles des MECS. Créer à partir de ce qui est légué en héritage mais surtout ne pas reproduire !
Pour ce faire, une piste s’ouvre : comparer l’inventaire issu de l’héritage aux enjeux qui se posent aujourd’hui en protection de l’enfance.
2. Un état des lieux
L’analyse historique de la protection de l’enfant montre que le dispositif n’a cessé d’évoluer en fonction des représentations que se faisait la société de l’enfant, de la famille, et plus largement des rapports sociaux. Où en sommes-nous aujourd’hui. Il est courant d’affirmer que nous connaissons actuellement de profondes mutations des modèles sociaux. Le pari qui est fait dans les lignes qui suivent est que ces mutations sont structurantes pour la protection de l’enfance et, par conséquence, pour la manière de penser la MECS de demain.
2.1. Des mutations structurantes
Je vous propose de retenir trois séries de mutations (il y en a d’autres) qui impactent particulièrement la manière d’envisager la protection des enfants aujourd’hui : Les mutations des configurations familiales ; les mutations des conceptions éducatives autour de l’enfant ; les mutations des institutions chargées de protéger les enfants.
2.1.1. D’autres manières de « faire famille »
Les configurations familiales se transforment d’abord sous l’impact de l’évolution du rapport à l’autorité. Nous sommes passés du « chef » incarnant le pouvoir (Cf. plus haut le pater familias) à la légitimité de ceux qui exercent ce pouvoir : l’autorité doit se légitimer par elle-même, elle n’est plus donnée par l’ordre social.
Seconde mutation impactant la famille : la recomposition des rôles en son sein. Cette transformation des places et des rôles est d’abord le résultat de ce que nous nommons les recompositions familiales : familles recomposées, fratries issues d’unions plurielles, rapports de genres… Cette transformation des modèles familiaux bouleverse les liens de filiation : la famille devient une réalité hybride, de plus en plus éloignée du modèle nucléaire qui a marqué son histoire.
Cela produit un phénomène complexe dans les représentations qui circulent autour de la notion de famille. Nous assistons à une véritable « désacralisation » de la famille qui nous éloigne radicalement du triptyque issu du régime de Vichy « travail, famille, patrie ». la famille n’est plus le seul lieu de construction des individus, de multiples autres espaces sociaux participent de l’individuation des sujets (réseaux sociaux, appartenances communautaires, etc.). Mais, dans le même mouvement, nous assistons à une « re-sacralisation » de la famille qui reste une référence centrale de la vie sociale et qui, dans le contexte d’incertitude dans lequel nous vivons, s’affirme de plus en plus comme un « nid protecteur » (on l’a vu lors des confinements Covid où de nombreux jeunes se sont réfugiés – quand ils le pouvaient – chez leur parents).
Pour compléter ce tableau, il faudrait citer les parents seuls, les parents de même sexe, le maintien non-choisi de jeunes dans le girons familial par impossibilité d’intégrer le monde du travail, etc.
2.1.2. Brouillage des conceptions éducatives
Deuxième série de mutations : les conceptions prévalant à l’éducation d’un enfant.
Un premier élément joue fortement avec la recomposition du rapport entre sphère privée et sphère publique. La « Patrie » n’est plus une référence, l’école n’est plus le seul lieu d’instruction (Cf. la remise en cause du rôle de « l’instituteur » devenu « professeur des écoles »), les réseaux sociaux ne sont plus limités au village, etc. La distinction entre sphère privée et sphère publique est de plus en plus poreuse : l’espace privé tend à s’exposer publiquement (Cf. FaceBook ou TiKToK selon les générations) alors que l’espace public tend à se privatiser dans les manières qu’ont les individus de l’occuper (Cf. les transports en commun quand chacun est devant l’écran de son Smartphone). L’espace public devient la juxtaposition de « Robinsons » (chacun sur son île au milieu des autres…). Dans ce mouvement de transformation des sphères, nous devons avoir conscience que la société de contrôle, de surveillance, n’a jamais été aussi présente (Cf. la traçabilité des individus rendue possible par les objets connectés)…
Cette recomposition espace public / espace privé (individualisation?) provoque, ou s’accompagne d’un déclin des institutions. Les grandes institutions n’ont plus les légitimités d’antan. Leur légitimité ne va plus de soi, elle doit se prouver, c’est la mythification du résultat et l’hégémonie de la performance.
Il résulte de cette recomposition des institutions que des références éducatives ont disparu du paysage social éducatif. C’est, par exemple le cas des structures de l’éducation populaire (Cf. la quasi-disparition des colonies de vacances).
Dans ce mouvement, les parents ont perdu leur valeur de garants de l’institution familiale. Les rapports parents-enfants relèvent d’une forme de contractualisation. L’enfant participe aux choix le concernant, disposition vertueuse posée dans le Code Civil, pouvant dégénérer dans l’excès où c’est l’enfant qui doit choisir seul pour lui-même…
Il est essentiel de rappeler ici que le fond de tableau de toutes ces mutations c’est la prééminence donnée aux droits de l’enfant. En effet, la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE, 1989) a engendré une révolution des places et des rôles. La France a considérablement modifié son droit positif en conséquence (Code Civil et Code Pénal). En protection de l’enfance, il a fallu attendre 18 ans pour que la loi de 2007 intègre réellement la CIDE dans le Code de l’Action Sociale et des Familles (Cf. article L112-4 sur l’intérêt de l’enfant et ses besoins fondamentaux).
2.1.3. Un changement de paradigme en matière de protection de l’enfance
Le déclin des légitimités institutionnelles a ouvert un « droit d’inventaire » des usagers des établissements et services sociaux et médico-sociaux. L’ASE n’y a pas échappé. Une critique se fait jour chez les enfants protégés et chez leurs parents quant au fonctionnement des établissements et services et à la manière dont ils sont accompagnés. Des émissions de télévision dénoncent les dérives (Cf. « Enfants placés : que fait la République ? », documentaire de Sylvain Louvet diffusé dans l’émission d’Élise Lucet « Pièces à conviction » le 27/01/21), des livres critiques sont publiés (Cf. « Dans l’enfer des foyers » de Lyes Louffok, éditions « J’ai lu »), des organisations se mettent en place (Cf. l’association « Repairs » initiée par d’anciens enfants placés). Un basculement s’opère quant à la manière dont les bénéficiaires entendent faire usage des organisations qui les accueillent ou les accompagnent.
Ces critiques, outre les dysfonctionnements qu’elles pointent, se fondent sur l’extrême complexité de l’organisation du dispositif de protection de l’enfance partagé entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir administratif, entre les compétences transmises aux départements et la responsabilité de régulation qui incombe à l’État, avec des financements qui ne parviennent pas à être à la hauteur des besoins… Tout cela ne facilite pas la lisibilité d’un système qu’un récent rapport de la cour des comptes qualifie très négativement[4].
Le plus significatif dans cette nécessaire transformation des institutions de la protection de l’enfance (Cf. lois 2007, 2016 et 2022 déjà évoquées), c’est qu’il révèle les mutations des attentes sociales et des représentations qui prévalent de manière très contradictoire :
– D’une part une tolérance de plus en plus réduite aux comportements déviants (thèmes de la délinquance juvénile resservi à chaque campagne électorale);
– D’autre part, une exigence accrue de protection – par l’État – des enfants en danger (selon une vision souvent misérabiliste).
2.2. Des difficultés à surmonter
De ce constat, nous pouvons extraire des remarques générales avant d’entrer plus en détail sur les challenges qu’auront à relever les MECS.
La situation des enfants dans une société est un indicateur particulièrement sensible de son état de santé. De ce fait, la Protection de l’enfance, est un baromètre qui nous renseigne de manière fine sur ce qui se joue dans les rapports sociaux (participation, exclusion, stigmatisations…).
En ce sens, nous pouvons affirmer que la protection de l’enfance pose un défi démocratique essentiel : Comment notre société se montre-t-elle apte à prendre soin de ses enfants – et parmi eux, des plus fragiles ?
Si on analyse cette question à l’aune des délais de réponse du tribunal pour enfants, des délais de mise en œuvre des mesures éducatives, des délais de réponse aux familles en souffrance : le bilan est mauvais !
Ensuite, comment notre société est-elle en mesure de garantir une place à chacun, particulièrement en ce qui concerne sa jeunesse ?
Si on mesure cette performance au taux d’insertion dans l’emploi des jeunes, aux situations de sortie du dispositif ASE, ou au sort réservé aux Mineurs non accompagnés : là encore, le score est négatif !
Enfin, c’est un défi démocratique que de disposer d’institutions qui assument la complexité du monde dans lequel nous avons à vivre en contexte de grande incertitude…
Si on prend comme indicateur la manière dont les organisations de protection de l’enfance accompagnent les jeunes dits « à problématiques complexes », la manière dont elles articulent les compétences en matière sociale, médico-sociale et sanitaire (on peut penser spécifiquement à la pédopsychiatrie), là encore, le résultat laisse à désirer… !
Le dispositif français de protection de l’enfance doit, de toute urgence, surmonter ces difficultés !
2.3. Des Défis à relever
Cela met en évidence quelques défis à relever.
Ce défi, c’est tout simplement de donner corps à l’ambition de promouvoir une société inclusive. Par société inclusive, nous pouvons entendre une société qui ingurgite tout le monde quel qu’il soit, sans distinction, dans un « droit commun » qui ne serait qu’une immense marmite où chacun essaye de surnager. Par société inclusive, nous devons entendre une société capable de se transformer pour offrir une place à chacun, en tenant compte de ses singularités, de la particularité de ses besoins.
Cela suppose des moyens à la hauteur des ambitions : sur ce point, nous sommes loin du compte.
Enfin, cela suppose d’être capable de « faire ensemble ». C’est-à-dire de sortir des logiques propres à chaque organisation pour développer un agir-commun. Nous pensons ici aux institutions installées dans leurs féodalités, aux politiques sociales isolées dans leurs silos, aux métiers enfermés dans leurs corporatismes, aux pratiques de terrain mises à mal par l’injonction à la performance et à la standardisation.
Être capable de faire ensemble suppose de s’affranchir des velléités d’indépendance ou de suprématie des uns et des autres pour développer des projets communs au bénéfice des enfants et des familles.
Cela implique d’aller jusqu’à associer pleinement les enfants et leurs parents à la co-construction d’un dispositif de protection de l’enfance en réponse aux besoins réels des personnes.
3. Des questions…
Ces défis ne sont pas minces… ils posent des questions essentielles pour la vie et le fonctionnement des MECS. Nous pouvons en retenir quelques-unes que chacun complétera à partir de ses expériences.
3.1. Que devient aujourd’hui la relation éducative ?
Quelles sont les conditions à préserver, à développer ou à inventer pour développer une relation éducative porteuse d’avenir pour les enfants confiés ?
Comment (re)donner sens à la relation qu’entretiennent les adultes avec les jeunes dans la perspective de les aider à passer de l’enfance à la vie sociale d’adultes responsables ? Et, dans cette perspective, comment permettre à chacun (éducateur, enseignant, parent, entourage de l’enfant) de tenir une place, de jouer un rôle ?
3.2. De quelle attractivité des métiers parle-t-on ?
De quels professionnels a-t-on besoin pour atteindre cette ambition éducative ?
Comment créer les conditions laissant entrevoir la possibilité de changer la vie des enfants confiés ?
Quelles sécurités doivent être garanties aux intervenants éducatifs par les institutions pour qu’ils puissent agir leur créativité ?
3.3. Comment penser les partenariats ?
De quels partenariats a-t-on besoin pour assumer les réponses adéquates aux besoins des enfants confiés ?
Comment ces partenariats doivent-ils être régulés ? Animés ? Par qui ?
3.4. Place du corps, du sensible, de l’affect dans le travail éducatif ?
À quelles conditions les dimensions sensibles de la vie des enfants (somatisations, émotions, affects positifs ou négatifs, handicaps, sexualité…) peuvent-elles être prises en compte dans une organisation éducative collective ?
De quels moyens doit se doter l’établissement pour cela ?
3.5. De quelle société inclusive parlons-nous ?
Comment faire pour que la MECS ne soit pas un lieu « à part » mais un véritable « quartier » dans la cité ?
Comment banaliser l’existence d’établissements spécialisés pour leur permettre de vivre au milieu de la société ?
Comment influer sur le cours des choses pour que le droit commun soit un droit qui respecte les singularités de chacun ?
3.6. Accompagner vers quoi ?
Quelles sont les perspectives à ouvrir aux jeunes confiés pour que le monde qui les attend ne soit pas vécu comme une menace ou un risque ?
Comment sécuriser les passages vers le monde adulte ?
3.7. Et ce fameux « travail avec les familles » ?
Quelles méthodes, quels lieux, quels moyens, quels projets peuvent permettre de créer les conditions d’une coopération avec les familles ?
Comment faire pour ajuster en permanence cette relation entre la MECS et les parents des enfants confiés ? Entre bonne distance et juste proximité ?
3.8. Quelle articulation de l’individuel avec le collectif ?
Comment répondre à ce défi spécifique aux MECS d’articuler l’accompagnement individuel et la dynamique collective ? Comment faire pour que ces deux dimensions participent, chacune avec ses spécificités, à la résolution des difficultés, à l’apaisement des situations, à la mise au travail des problématiques ?
De quels projets, de quels moyens, de quels supports ont besoin les MECS pour cela ?
___________
[1] Cf. l’histoire de la protection de l’enfance, R. Janvier, Guide pratique « Protection de l’enfance », ESF éditeur.
[2] F. Deligny, Graine de crapule, éditions Scarabée, 1960, consultable sur : https://www.peripleenlademeure.com/IMG/pdf/grainedecrapule-2.pdf
[3] Remplacées par le Code de justice des mineurs.
[4] « La protection de l’enfance : Une politique inadaptée au temps de l’enfant » Rapport public thématique de la Cour des Comptes, Novembre 2020.
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